DÉDICACE
Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 12 octobre 2016)
Venit Filius hominis quærere et salvum facere
quod perierat.
Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver
ce qui était perdu.
Lc 19, 10
Chers Frères et Sœurs,
Mes très chers Fils,
ANS QUELQUES SEMAINES nous allons fêter en une
solennité tous les saints et les bienheureux du Ciel. Ceux
qui au terme de leur vie sur la terre possèdent pour l'éternité la
béatitude céleste.
D
Aujourd'hui, à travers la fête de la Dédicace, osons dire que
l'église, en quelque sorte nous fête ! La fête de la Dédicace est
en effet la fête de la sainteté en croissance. La fête de celui qui
entend et qui accueille toujours la demande de Jésus : « Aujourd'hui
en ta maison, il me faut demeurer. » (Lc 19,5)
Si en ce jour, la liturgie tourne notre attention vers les églises
de la terre, si les prêtres vont encenser leurs murs, si les prières
rappellent le jour où l'évêque a consacré cet édifice, ce n'est pas
pour louer la beauté du bâtiment, le génie de l'architecte ou
encore les prouesses techniques des bâtisseurs qui ne disposaient
pas des moyens que la technique offre désormais.
Si aujourd'hui, nous chantons la sainteté de nos églises, c'est
que toute église est pour tout homme un instrument de prière,
un tremplin vers le Ciel, un signe de la présence de Dieu sur la
terre venu chercher et sauver ce qui était perdu : « Redoutable
est ce lieu, avons-nous chanté dans l'introït, c'est la demeure de
Dieu et la porte du Ciel ; on l'appellera le palais de Dieu. »
Et ce même introït ajoute la réponse de l'âme humaine en
face de cette mystérieuse maison de Dieu parmi les hommes :
« Que vos demeures me sont chères, Ô Seigneur des armées !
Mon âme languissante soupire auprès des parvis du Seigneur. »
Plusieurs fois par jour, le moine en entrant dans l'église, et
avant de se signer d'eau bénite, récite cette prière : « Introibo in
domum tuam, Domine, et adorabo ad templum sanctum tuum in
timore tuo.- J'entrerai dans votre maison et pénétré de crainte,
j'adorerai dans votre saint temple. »
Le livre de l'Apocalypse, c'est à dire des révélations, offre la
vision de la Jérusalem céleste, de la cité sainte, qui descend du
Ciel d'auprès de Dieu. En cette cité, il n'y a plus de larmes, plus
de pleurs ni de cris car Dieu a consolé toute souffrance et la
mort n'est plus.
Aujourd'hui les guerres, les souffrances, baignent la terre.
L'église est par excellence le lieu de la consolation. C'est là que
l'enfant qui vient de naître fils de colère, est accueilli dans la
communion de paix des enfants de Dieu. Dans ses murs, le
pécheur reçoit l'absolution. Sur ses autels, les prêtres rendent
présent et offrent l'unique Sacrifice de la Croix. À la table
sainte, le chrétien communie à ce Sacrifice en recevant le Corps
et le Sang du Christ, nourriture de son âme. Dans son silence,
les fidèles s'agenouillent et prient, devant le tabernacle, le
Maître de la demeure. Enfin au terme de la vie terrestre, une
dernière prière réunit les chrétiens auprès de la dépouille de celui
qui poursuit désormais son chemin vers la Jérusalem céleste.
La fête de la Dédicace est l'occasion de se demander
comment nous utilisons notre église. Est-elle un chemin vers le
Ciel ? Est-elle ce lieu si redoutable où Dieu habite ?
Le chant de l'offertoire reprend la prière d'action de grâces de
David alors qu'il vient de rassembler les matériaux en vue de la
construction du temple de Jérusalem : « Seigneur, Dieu, c'est
dans la simplicité de mon cœur et avec joie que je vous fais
toutes ces offrandes ; et j'ai tressailli de joie à la vue de votre
peuple assemblé. Ô Dieu d'Israël conservez cette disposition. »
(1Ch 29,17-18)
Salomon, édifiera le temple projeté par son père. Le livre des
Chroniques garde à travers de nombreux versets le souvenir de
cette construction, du transfert de l'arche de l'alliance et des
cérémonies.
La prise de possession du temple par Dieu n'est évoquée que
par une phrase : « Le sanctuaire fut rempli par une nuée. »
(2 Ch 5,13b) Cette nuée dans laquelle jadis Moïse avait pénétré est
le signe de la prise de possession. C'est le signe de la Présence.
Aujourd'hui, chaque fois que nous entrons dans une église,
nous sommes invités à entrer à nouveau, à entrer plus avant,
dans la nuée.
David et Salomon ont construit un temple avec les plus
beaux matériaux pour inviter la Présence de Dieu. Que faire si
nous voulons inviter le Seigneur en nous ?
De l'or, nous n'en avons pas, construire un temple, c'est trop !
Nous avons un cœur. Dans ce cœur, le Seigneur veut aujourd'hui
faire reposer sa nuée. Imitons la simplicité de David et
offrons avec joie notre pauvre cœur.
Le livre des Chroniques rapporte qu'une fois la prise de
possession accomplie par Dieu, « les prêtres ne purent pas
continuer leur fonction à cause de la nuée. » (2 Ch 5,14)
Quand Dieu prend possession d'un lieu, il y fait taire tout ce
qui n'est pas de lui.
Un cœur qui se dispose à inviter la nuée, à y entrer plus
avant, doit faire silence, doit poursuivre la paix, doit orienter
autant que possible sa vie vers le Mystère.
L'église, la liturgie,
la vie fraternelle, le silence, sont autant de moyens qui correctement
mis en œuvre, disposent le cœur à la rencontre, à la
communion. Il nous revient d'en renouveler le choix.
Durant le chant de la préface, à l'invitation du prêtre :
« Élevons notre cœur », le peuple répond : « Nous le tournons
vers le Seigneur. »
L'orientation de la célébration liturgique
n'est que l'incarnation de ce que veut dire le mot communion. Il
ne s'agit pas d'un dialogue d'égal à égal, il s'agit d'être aspiré
dans un mystère. Celui qui croit accueillir la nuée, qui croit y
entrer par ses propres pas, y est en fait aspiré par celui qui a une
soif inaltérable de l'homme. Que faire, si ce n'est se laisser faire,
abandonner son cœur, sa vie, au souffle de l'Esprit afin de
demeurer disponible au mystère qui aspire.
Dans une pauvre demeure de Nazareth, une Vierge a répondu
à l'invitation du Seigneur : « Qu'il me soit fait selon votre
parole. » (Lc 1,38) En cette église monastique consacrée à NotreDame,
ils sont nombreux ceux qui, enfants de Marie, ont
prononcé profession ou promesse. Que sans s'arrêter aux
embûches de la vie, leurs cœurs demeurent ouverts à celui qui
vient chercher et sauver ce qui était perdu. Que le Seigneur
préserve leur dédicace.
Amen.