Encyclique MEDIATOR DEI
de Sa Sainteté le Pape PIE XII
SUR LA SAINTE LITURGIE
V. CE PROGRÈS NE PEUT ÊTRE ABANDONNÉ A L’ARBITRAIRE DES PERSONNES PRIVÉES
C’est pourquoi au seul Souverain Pontife appartient le droit de reconnaître et établir tout usage concernant le culte divin, d’introduire et approuver de nouveaux rites, de modifier ceux mêmes qu’il aurait jugés immuables (cf. C. I. C., can. 1257) ; le droit et le devoir des évêques est de veiller diligemment à l’exacte observation des préceptes des saints canons sur le culte divin (cf. C. I. C. can. 1261). Il n’est donc pas permis de laisser à l’arbitraire des personnes privées, fussent-elles de l’ordre du clergé, les choses saintes et vénérables qui touchent la vie religieuse de la société chrétienne, et de même l’exercice du sacerdoce de Jésus-Christ et le culte divin, l’honneur qui doit être rendu à la très sainte Trinité, au Verbe incarné, à son auguste Mère, et aux autres habitants du ciel, et le salut des hommes. Pour cette raison, aucune personne privée n’a le pouvoir de réglementer les actions extérieures de cette espèce, qui sont au plus haut point liées avec la discipline ecclésiastique et avec l’ordre, l’unité et la concorde du Corps mystique, et qui, plus est, fréquemment avec l’intégrité de la foi catholique elle-même.
Quelques abus téméraires
L’Église, sans doute, est un organisme vivant, donc, même en ce qui regarde la liturgie sacrée elle croît, se développe, évolue, et s’accommode aux formes que requièrent les nécessités et les circonstances au cours des temps, pourvu que soit sauvegardée l’intégrité de la doctrine. Néanmoins, il faut réprouver l’audace tout à fait téméraire de ceux qui, de propos délibéré, introduisent de nouvelles coutumes liturgiques ou font revivre des rites périmés, en désaccord avec les lois et rubriques maintenant en vigueur. Or, Nous avons appris avec grande douleur, Vénérables Frères, que cela se produisait, et en des choses, non seulement de faible, mais aussi de très grave importance ; il en est, en effet, qui dans la célébration de l’auguste sacrifice eucharistique, se servent de la langue vulgaire, qui transfèrent à d’autres époques des jours de fête - lesquels avaient été décrétés et établis après mûre délibération - qui enfin suppriment des livres de la prière publique approuvés par l’Église les textes sacrés de l’Ancien Testament, parce qu’ils les jugent insuffisamment adaptés à notre temps et inopportuns.
L’emploi de la langue latine, en usage dans une grande partie de l’Église, est un signe d’unité manifeste et éclatant, et une protection efficace contre toute corruption de la doctrine originale. Dans bien des rites cependant, se servir du langage vulgaire peut être très profitable au peuple : mais c’est au seul Siège apostolique qu’il appartient de le concéder ; et sans son avis et son approbation, il est absolument interdit de rien faire en ce genre, car, comme Nous l’avons dit, la réglementation de la sainte liturgie dépend entièrement de son appréciation et de sa volonté.
Attachement exagéré aux rites anciens
Il faut juger de même des efforts de certains pour remettre en usage d’anciens rites et cérémonies. Sans doute, la liturgie de l’antiquité est-elle digne de vénération ; pourtant, un usage ancien ne doit pas être considéré, à raison de son seul parfum d’antiquité, comme plus convenable et meilleur, soit en lui-même, soit quant à ses effets et aux conditions nouvelles des temps et des choses. Les rites liturgiques plus récents eux aussi, sont dignes d’être honorés et observés, puisqu’ils sont nés sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, qui assiste l’Église à toutes les époques jusqu’à la consommation des siècles (cf. Mt, XXVIII, 20) ; et ils font partie du trésor dont se sert l’insigne Épouse du Christ pour provoquer et procurer la sainteté des hommes.
Revenir par l’esprit et le cœur aux sources de la liturgie sacrée est chose certes sage et louable, car l’étude de cette discipline, en remontant à ses origines, est d’une utilité considérable pour pénétrer avec plus de profondeur et de soin la signification des jours de fêtes, le sens des formules en usage et des cérémonies sacrées ; mais il n’est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à l’antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des églises les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la croix de telle façon que n’apparaissent point les souffrances aiguës qu’il a endurées, de répudier et rejeter enfin les chants polyphoniques ou à plusieurs voix, même s’ils se conforment aux normes données par le Siège apostolique.
Archéologisme excessif
De même, en effet, qu’aucun catholique sérieux ne peut, dans le but de revenir aux anciennes formules employées par les premiers conciles, écarter les expressions de la doctrine chrétienne que l’Église, sous l’inspiration et la conduite du divin Esprit, a dans des âges plus récents élaborées et décrété devoir être tenues, avec grand profit pour les âmes ; et qu’aucun catholique sérieux ne peut écarter les lois en vigueur pour revenir aux prescriptions des sources anciennes du Droit canonique, de même, quand il s’agit de liturgie sacrée, quiconque voudrait revenir aux antiques rites et coutumes, en rejetant les normes introduites sous l’action de la Providence, à raison du changement des circonstances, celui-là évidemment, ne serait point mû par une sollicitude sage et juste.
Une telle façon de penser et d’agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu’excitait le concile illégitime de Pistoie, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l’origine de ce faux concile et qui en résultèrent, pour le grand dommage des âmes, erreurs que l’Église, gardienne toujours vigilante du " dépôt de la foi " à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit (cf. Pie VI, Const. Auctorem fidei, du 28 août 1794, nn. XXXI-XXXIV, XXXIX, LXII, LXVI, LXIX-LXXIV.). Car des desseins et des initiatives de ce genre tendent à ôter toute force et toute efficacité à l’action sanctificatrice, par laquelle la liturgie sacrée oriente, pour leur salut, vers le Père céleste les fils de l’adoption.
Que tout se fasse donc de telle façon que soit sauvegardée l’union avec la hiérarchie ecclésiastique. Que personne ne s’arroge la liberté de se donner à soi-même des règles, et de les imposer aux autres de son propre chef. Seul le Souverain Pontife, comme successeur du bienheureux Pierre à qui le divin Rédempteur a confié le soin de paître le troupeau universel (Jn XXI, 15-17), et avec lui les évêques, que " l’Esprit-Saint a placés… pour régir l’Église de Dieu " (Act XX, 28) sous la conduite du Siège apostolique, ont le droit et le devoir de gouverner le peuple chrétien. C’est pourquoi, Vénérables Frères, chaque fois que vous défendez votre autorité - et avec une sévérité salutaire s’il le faut - non seulement vous remplissez la fonction de votre charge, mais vous faites respecter la volonté même du Fondateur de l’Église.