sexta-feira, 12 de outubro de 2018

Divo Barsotti, La Parole extérieure et la Parole intérieure


16 TOB evCe qui différencie l’économie chrétienne par rapport à l’Ancien Testament, ce n’est pas seulement que "la Parole s’est faite chair" (Jn 1, 14) : en soi l’incarnation du Verbe ne marque pas le début du christianisme. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est la vérité : l’incarnation à elle seule ne suffit pas à fonder l’Église, à inaugurer le christianisme ; ce qui inaugure le christianisme et fait naître l’Église, c’est le don de l’Esprit par lequel la Parole de Dieu se fait intime à l’homme ; non seulement la Parole de Dieu assume une nature humaine, mais elle devient intime à tout cœur vivant: Christum habitare per fidem in cordibus vestris, écrit saint Paul.

       La Parole ne résonne plus seulement de l’extérieur : elle se fait intérieure à nous ; mais pas si intérieure qu’elle ne doive avoir pour garantie la parole extérieure du magistère.

       Puisque cette intériorité de la Parole n’implique jamais pour chacun de nous une parfaite connaturalitas de notre être avec le Christ, une parfaite identification de chacun de nous avec lui, il est nécessaire que la parole intérieure soit toujours confrontée avec la parole qui demeure dans l’Église à l’abri du péril de notre corruption, de notre appauvrissement, d’une traduction inexacte. Le Christ est présent dans l’Église ; et la présence du Christ dans l’Église (parole de Jésus dans le magistère, présence de Jésus dans le sacrement), garantit la vérité de la présence du Christ dans notre vie.

       Le Christ est Un. La certitude, si relative soit-elle, de sa présence en nous a sa norme dans la présence certaine du Christ dans l’Église ; ce Christ qui vit en moi vit aussi en dehors de moi ; et c’est seulement dans la mesure où il ne vit pas encore assez en moi que la parole intérieure ne correspond pas à la parole extérieure. Quand le Christ vit pleinement dans l’âme de l’homme, la coïncidence est parfaite, et toute tension entre charisme et magistère, entre autorité visible et autorité intérieure de la Parole, est dépassée. Plus nous tendons vers la sainteté, plus nous surmontons cette tension.

       Pour qui ne vit pas la vie chrétienne, pour qui ne vit pas dans la grâce, tout est pour ainsi dire à l’extérieur : pouvoir de juridiction, pouvoir du magistère, pouvoir d’ordre (pape, évêques) ; tout lui est extérieur, étranger, sans rapport avec lui. La vie spirituelle commence quand Dieu suscite en nous un attrait mystérieux. À mesure que la vie spirituelle grandit et prend vigueur, Dieu se fait intérieur à l’âme et l’instruit, la guide, la meut.

       Alors naît le péril : l’âme risque de se confier au magistère intérieur de l’esprit, revendiquant une liberté d’agir qui pourrait l’opposer au magistère extérieur, aux directives de l’Église. Le danger existe aussi longtemps que l’âme n’est pas arrivée à la sainteté. Ce n’est pas parce qu’elle est étrangère à Dieu qu’elle peut tomber dans l’hérésie, pencher vers une liberté qui risque de compromettre son union avec l’Église : c’est au contraire parce qu’elle grandit en sainteté. L’âme qui s’aperçoit de l’action de Dieu en elle commence à s’y confier, mais sans bien discerner encore ce qui reste d’humain et de peccamineux dans ses impulsions. Celui qui vit en dehors de l’Église ne saurait évidemment faire naître un schisme ou une hérésie : quand au contraire la Parole devient présente à l’âme, une tension se fait jour dans la mesure où la parole intérieure, dans l’homme, ne coïncide par parfaitement avec la parole extérieure. Or l’assimilation de l’âme au Verbe n’est jamais parfaite ; c’est pourquoi l’obéissance à l’Église s’impose toujours ici-bas.

       Quand l’homme sera parfaitement saint, toute tension est dépassée ; mais avant d’atteindre la sainteté, on rencontre inévitablement des périls, des épreuves. L’autorité ne comprend pas les saints, et bienheureux si elle se contente de les mettre de côté! Quant à ceux qui ne sont pas encore des saints, ils ont l’impression de ne trouver dans l’Église qu’un empêchement à la liberté des fils de Dieu. C’est inévitable. Mais à travers ces épreuves, l’âme, si elle garde l’humilité, si elle vit dans l’obéissance, avance de purification en purification, et toujours davantage s’assimile au Verbe. Au lieu de se séparer de l’Église, elle s’y enracine de plus en plus : sa transformation dans le Christ implique pour l’âme son identification mystique avec l’Église.

       "Écoute, Israël." La vie spirituelle, la vie chrétienne, exige avant tout d’accueillir le Verbe pour qu’il demeure dans l’âme, et implique une assimilation de l’âme au Verbe comme une assomption de tout l’homme par le Verbe. L’Église n’est pas autre chose que le prolongement de l’Incarnation divine ; l’histoire de l’Église n’est pas autre chose que l’actualisation de ce mystère de l’Incarnation à partir duquel la Parole t’assume et te transforme en elle.
Dieu est Dieu, Téqui 1980, p. 18-20