IV. ADORATION DE L’EUCHARISTIE
La nourriture eucharistique contient, comme chacun sait, " vraiment, réellement et substantiellement, le corps, le sang, l’âme et la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ " (Conc. Trid., Sess. XIII, can. 1) ; il n’y a donc rien d’étonnant si l’Église, depuis ses origines, a adoré le corps du Christ sous l’espèce du pain, comme il est évident par les rites mêmes du saint sacrifice, qui ordonnent aux ministres sacrés d’adorer le Saint Sacrement par une génuflexion ou une inclination profonde.
Les saints conciles enseignent comme une tradition de l’Église, remontant aux débuts de son existence, qu’il faut honorer " d’une seule adoration le Verbe de Dieu incarné et sa propre chair " (Conc. Constant. II, Anath. de trib. Capit., can. 9 collat. Conc. Ephes., Anath. Cyrill., can. 8. Cf. Conc. Trid., Sess. XIII, can. 6 ; Pie VI, Const. Auctorem fidei, n. LXI), et saint Augustin affirme : " Que personne ne mange cette chair avant de l’avoir adorée ", ajoutant que non seulement nous ne péchons pas en l’adorant, mais que nous péchons en ne l’adorant pas (cf. Enarr. in Ps. XCVIII, 9).
Le culte d’adoration de l’Eucharistie distinct du saint sacrifice est né de ces principes doctrinaux et a grandi petit à petit. La conservation des saintes espèces pour les malades et pour tous ceux qui se trouvaient en danger de mort a amené la louable coutume d’adorer le pain du ciel conservé dans les églises. Ce culte d’adoration repose sur une raison solide et ferme. L’Eucharistie, en effet, est à la fois sacrifice et sacrement ; ce sacrement diffère des autres en ce que non seulement il engendre la grâce, mais contient encore d’une manière permanente l’Auteur même de la grâce. Quand donc l’Église nous ordonne d’adorer le Christ caché sous les voiles eucharistiques et de lui demander des biens surnaturels et terrestres dont nous avons continuellement besoin, elle manifeste la foi vive avec laquelle elle croit son divin Époux présent sous ces voiles, elle lui manifeste sa reconnaissance et jouit de son intime familiarité.
Développement du culte eucharistique
Au cours des temps, l’Église a introduit diverses formes de ce culte, chaque jour assurément plus belles et plus salutaires, comme par exemple les visites quotidiennes de dévotion au Saint Sacrement, la bénédiction du Saint Sacrement, les processions solennelles dans les villes et les villages, spécialement durant les congrès eucharistiques, et les adorations publiques du Saint Sacrement. Ces adorations publiques du Saint Sacrement sont parfois brèves ; parfois aussi elles se prolongent jusque durant quarante heures ; en certaines régions, elles continuent toute l’année, dans diverses églises à tour de rôle ; ou bien même elles sont assurées jour et nuit par des congrégations religieuses ; et il n’est pas rare que des laïques y participent. Ces exercices de piété ont contribué d’une manière étonnante à la foi et à la vie surnaturelle de l’Église militante ; par cette manière de faire elle répond en quelque sorte à l’Église triomphante qui élève continuellement son hymne de louange à Dieu et à " l’Agneau qui fut immolé " (Ap V, 12 ; coll. VII, 10). C’est pourquoi non seulement l’Église a approuvé ces exercices de piété propagés par toute la terre dans le cours des siècles, mais elle les a fait siens en quelque sorte et les a confirmés de son autorité (cf. Conc. Trid., Sess. XIII, cap. 5 et can. 6). Ils sortent de l’inspiration de la sainte liturgie ; aussi, exécutés avec la dignité, la foi et la piété convenables, requises par les prescriptions rituelles de l’Église, contribuent-ils sans aucun doute d’une manière très importante à vivre la vie liturgique.
Aucune confusion entre " Christ historique et Christ eucharistique "
Et il ne faut pas dire que dans un semblable culte eucharistique, le Christ historique, comme on l’appelle, celui qui vécut un jour sur la terre, le Christ présent dans le Saint Sacrement, et celui qui triomphe glorieusement dans les cieux et accorde les dons d’en-haut, sont faussement confondus ; bien au contraire, il faut plutôt affirmer que de cette manière les fidèles attestent et manifestent solennellement la foi de l’Église, pour qui ne font qu’un le Verbe de Dieu et le Fils de la Vierge Marie, qui a souffert sur la Croix, qui est invisiblement présent dans l’Eucharistie et qui règne dans les cieux. Ainsi parle saint Jean Chrysostome : " Lorsqu’il (le Corps du Christ) t’est présenté, dis-toi : A cause de ce Corps, je ne suis plus terre et cendre je ne suis plus prisonnier, mais libre ; aussi j’espère recevoir le ciel et les biens qui m’y attendent, la vie éternelle, le sort des anges, la vie avec le Christ ; ce Corps percé de clous, frappé de fouets, la mort ne l’a pas détruit ; voici le Corps qui a été ensanglanté, ouvert par la lance, qui a fait jaillir pour la terre des sources de salut, l’une de sang, l’autre d’eau… Il nous a donné ce Corps à tenir et à manger, ce qui prouve un ardent amour " (In I ad Cor., XXIV, 4).
La bénédiction du Saint Sacrement
Il faut, en particulier, louer en tout point la coutume répandue dans le peuple chrétien de terminer par la bénédiction du Saint Sacrement de nombreux exercices de piété. Rien de meilleur et de plus fructueux que le geste par lequel le prêtre, levant au ciel le pain des anges à la vue de la foule chrétienne prosternée, et dessinant avec lui le signe de la croix, demande au Père céleste de vouloir bien jeter avec bienveillance les yeux sur son Fils crucifié par amour pour nous, et à cause de lui, qui voulut être notre Rédempteur et notre Frère, et par médiation, de répandre ses dons célestes sur les hommes rachetés par le sang de l’Agneau immaculé (cf. I Pierre, I, 19).
Faites donc en sorte, Vénérables Frères, avec le grand zèle qui vous est coutumier, que les temples édifiés par la foi et la piété des générations chrétiennes au cours des siècles, comme un hymne éternel de gloire au Dieu tout-puissant et comme une digne demeure de Notre-Seigneur caché sous les espèces eucharistiques, s’ouvrent largement à des foules de plus en plus nombreuses, pour que celles-ci, recueillies aux pieds de notre Sauveur, écoutent sa très douce invitation : " Venez à moi vous tous qui peinez et qui êtes accablés et je referai vos forces " (Mt XI, 28). Que les églises soient, en vérité, la maison de Dieu dans laquelle quiconque entre, pour demander des faveurs, se réjouisse d’avoir tout obtenu (cf. Missale Rom., Coll. in Missa Ded. Eccl.) et reçoive la consolation céleste.
Ainsi seulement pourra-t-il arriver que toute la famille des hommes, les choses étant enfin rentrées dans l’ordre, trouve la paix et chante d’un cœur et d’un esprit unanimes ce cantique d’espérance et de charité : " Bon Pasteur, Pain véritable - Jésus, aie pitié de nous - nourris-nous, protège-nous - fais-nous voir les vrais biens - dans la terre des vivants " (Missale Rom., Seq. Lauda Sion in festo Ssmi Corporis Christi).