sábado, 20 de abril de 2013

LE TRÉSOR DE LA MESSE par saint Léonard de Port-Maurice

1 - Le sacrifice de la Messe est le même que Celui du Calvaire.

Le premier et principal caractère d’excellence de la sainte Messe, c’est que nous devons la considérer comme étant essentiellement et absolument le même Sacrifice que celui qui fut offert au Calvaire. Une seule différence se présente: sur la croix il fut sanglant et il n’eut lieu qu’une seule fois, et cette seule fois il eut assez de vertu pour expier pleinement toutes les iniquités de l’univers: sur l’autel, il n’y a point de sang répandu; de plus, le Sacrifice se renouvelle à l’infini, et son objet direct est d’appliquer à chacun en particulier, la rédemption générale acquise par Jésus dans sa douloureuse immolation.

Le Sacrifice sanglant a été le principe de notre rançon, le Sacrifice non sanglant nous met en possession de cette rançon; le premier nous ouvre le trésor des mérites de Notre-Seigneur, l’autre nous en assure l’usage.

Remarquons-le attentivement, du reste: la sainte Messe n’est point une simple représentation, un simple mémorial de la passion et de la mort du Sauveur: c’est une reproduction réelle et certaine de ce qui s’est accompli sur la croix: en sorte qu’on peut dire, en toute vérité, que dans chaque Messe notre Rédempteur subit de nouveau pour nous la mort, d’une manière mystique, sans mourir en réalité. Il vit tout à la fois et il est immolé. "J’ai vu, dit saint Jean, l’Agneau qui était comme égorgé."

Le jour de Noël, par exemple, l’Église nous représente comme actuelle la naissance de Jésus; à l’Ascension et à la Pentecôte, elle nous le montre triomphant, quittant la terre, ou bien envoyant aux Apôtres le Saint-Esprit; sans que pour cela il soit vrai qu’à pareil jour le Seigneur monte au ciel et que l’Esprit-Saint descende visiblement sur les fidèles.

Or, il ne serait pas permis de raisonner ainsi quand au Sacrifice de la Messe: là, ce n’est point une simple représentation, c’est exactement le même Sacrifice que celui du Calvaire; seulement il n’est plus sanglant. Ce même corps, ce même sang, ce même Jésus qui s’offrit sur la croix, sont offerts sur l’autel.

"C’est, dit l’Église, c’est l’œuvre même de notre rédemption qui s’accomplit de nouveau." Oui, elle s’accomplit très certainement, oui, c’est le même Sacrifice, absolument le même, que le Sacrifice du Calvaire.

Ô merveille inexprimable! Avouez-le sincèrement: si, lorsque vous allez à l’église entendre la Messe, vous réfléchissiez que vous montez au Calvaire pour assister à la mort de Notre-Seigneur, vous verrait-on si peu recueilli, si dissipé, si mondain? Qu’eût-on pensé de Marie-Madeleine si on l’avait rencontrée au pied de la croix couverte de ses plus beaux vêtements, parfumée, parée comme au temps où elle s’abandonnait à ses passions? Que faut-il dire de vous, quand vous vous rendez au saint lieu comme vous iriez à une réunion vulgaire?

Et que serait-ce, grand Dieu! si vous vous oubliiez jusqu’à profaner cette action, de toutes la plus sainte, par des regards et des signes inconvenants, par des rires, des conversations, des rencontres coupables, des sacrilèges?

Le péché est chose horrible en tout lieu et en tout temps; mais celui qui se commet pendant le temps de la Messe, à côté même des saints autels, attire plus que tout autre la malédiction de Dieu.

"Maudit, s’écrie le prophète Jérémie, maudit l’homme qui fraude dans l’œuvre divine." — Pensez-y sérieusement. — Mais il est dans ce Trésor admirable d’autres merveilles encore et d’autres excellences.

2. - Le prêtre principal, à la sainte Messe, est Jésus-Christ lui-même.

Dans le nombre des prérogatives sublimes de cet adorable Sacrifice, aucune semble-t-il, n’est plus admirable que d’être non pas seulement la copie mais l’original même du Sacrifice de la croix: et pourtant il en est une supérieure encore à celle-là, qui est d’avoir pour ministre et pour prêtre un Dieu-Homme.

Dans une action aussi sainte que celle du Saint Sacrifice, il y a trois choses à considérer spécialement: le prêtre qui offre, la victime qui est offerte, la majesté de celui à qui on l’offre. Eh bien! ici nous trouvons, à ce triple égard, l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, pour prêtre; la vie d’un Dieu pour victime; Dieu lui-même pour fin.

Excitez donc votre foi, et reconnaissez dans le prêtre qui est à l’autel la personne adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le prêtre principal, non seulement parce que c’est lui qui a institué cet auguste Sacrifice, et lui a donné par ses mérites toute son efficacité, mais encore parce qu’à chaque Messe, il daigne changer pour nous le pain et le vin en son Corps adorable et son Sang précieux.

Voici le plus grand privilège de la sainte Messe; c’est d’avoir pour prêtre l’Homme-Dieu!

Sachez donc, quand vous voyez le célébrant à l’autel, que son principal mérite est d’être le ministre de ce prêtre éternel et invisible Notre-Seigneur Jésus-Christ.

C’est pour cela que le saint Sacrifice de la Messe ne cesse pas d’être agréable à Dieu, lors même que le prêtre qui l’offre est sacrilège; parce que le prêtre principal est Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que celui que vous voyez n’est que son ministre.

Si quelqu’un fait l’aumône par la main de son serviteur, c’est à lui qu’on l’attribue, et lors même que ce dernier serait un scélérat, si le maître est juste, son aumône est sainte et méritoire.

Béni soit donc le Seigneur de nous avoir accordé ce Prêtre saint, la sainteté même, chargé d’offrir au Père éternel l’auguste Sacrifice non seulement en tous lieux puisque la foi est désormais répandue dans l’univers entier, mais en tout temps, chaque jour, à toute heure même, car le soleil ne disparaît à notre horizon que pour se lever sur d’autres contrées.

C’est pourquoi, à chaque heure, sur chaque point du globe, ce Prêtre très saint présente à Dieu son Sang, son Âme, sa Personne entière: il les présente pour nous, et cela autant de fois qu’il se célèbre de Messes dans le monde.

Ô trésor immense! Ô source d’inappréciables richesses! Ah! que ne pouvons-nous assister à toutes les Messes qui se disent! quels mérites nous gagnerions! que de grâces en cette vie et quelle gloire dans l’autre nous pourrions acquérir!

3. - Dignité à laquelle est élevé le fidèle qui assiste à la Messe.

Mais que parlé-je d’assister? Entendre la sainte Messe, ce n’est pas seulement cela, c’est l’offrir soi-même. Oui, le simple fidèle peut et doit être appelé sacrificateur, ainsi que nous le lisons au chapitre V de l’Apocalypse: "Vous avez fait de nous, Seigneur, votre royaume et vos prêtres."

Le célébrant à l’autel, c’est le ministre de l’Église agissant au nom de la communauté; il est le médiateur de tous les fidèles, spécialement de ceux qui sont présents, auprès de Jésus-Christ le prêtre invisible, uni à lui, il offre à Dieu le Père, tant au nom de tous qu’en son nom particulier, le prix divin de la rédemption des hommes.

Mais comprenons-le bien, il n’agit pas seul dans une si auguste fonction: chacun de ceux qui assistent à son sacrifice concourt avec lui à l’accomplir et à l’offrir, et c’est pourquoi, lorsque après l’offertoire, il se tourne vers le peuple, il dit: Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui et aussi le vôtre soit agréable au Dieu tout-puissant; afin que nous entendions par là que, bien qu’il fasse les fonctions de principal ministre, tous ceux qui sont présents offrent avec lui le saint Sacrifice.

Ainsi toutes les fois que vous assistez à la Messe, vous faites en un certain sens l’office du prêtre. Oserez-vous maintenant entendre la Messe en causant, en regardant de côté et d’autre, peut-être même en dormant, vous contentant de réciter tant bien que mal quelques prières vocales, sans faire aucune attention aux fonctions redoutables de prêtre que vous exercez ?

Ah! je ne puis m’empêcher de m’écrier ici: Monde insensé, qui ne comprend rien à ces sublimes mystères! Comment est-il possible que l’on se tienne auprès de l’autel, l’esprit distrait et le cœur dissipé, pendant que les anges contemplent dans une sainte ferveur l’accomplissement d’une œuvre merveilleuse.

Vous êtes peut-être étonné de m’entendre dire que la Messe est une œuvre pleine de merveilles. N’est-ce pas, en effet, une merveille digne de toutes nos admirations, que le changement opéré par les paroles d’un simple mortel?

Qui, non seulement parmi le hommes, mais encore parmi les anges, pourra expliquer une telle puissance? Qui pourrait s’imaginer que la voix d’un homme, lequel n’a pas même la force de soulever de terre une paille sans y mettre la main, ait reçu de Dieu le pouvoir merveilleux de faire descendre du ciel sur la terre le Fils de Dieu lui-même.

C’est là un pouvoir plus grand que celui de transporter les montagnes, de dessécher la mer et de bouleverser les cieux. Les paroles que prononce le prêtre à la consécration sont aussi puissantes, en un certain sens, que ce premier Fiat avec lequel Dieu tira du néant toutes choses; il semble même qu’elles surpassent cet autre Fiat, avec lequel la sainte Vierge conçut dans son sein le Verbe éternel.

Car elle ne fit alors que fournir la matière du corps de Jésus-Christ, qui fut formé, il est vrai de son sang, mais non par elle; tandis que le prêtre, instrument, ministre du Seigneur dans l’acte de la consécration, il produit lui-même Jésus-Christ d’une manière ineffable, sacramentellement, autant de fois qu’il offre le Saint Sacrifice.

Le bienheureux Jean de Mantoue, dit le Bon, avait pour compagnon un ermite, qui ne pouvait comprendre comment les paroles d’un simple prêtre avaient le pouvoir de changer la substance du pain et du vin, en celle du Corps et du Sang de Jésus-Christ; il avait même prêté quelque consentement au doute que le démon lui avait suggéré sur ce point.

Le bon serviteur de Dieu s’étant aperçu de son erreur, le conduisit à une fontaine, et y ayant puisé une coupe d’eau, il la lui donna à boire. L’autre l’ayant bue, confessa qu’il n’avait jamais goûté de vin aussi délicieux.

"Eh bien, mon frère, lui dit alors Jean, vois-tu le miracle? Si Dieu a permis que l’eau ait été changée en vin par moi, homme misérable, pourquoi ne croirais-tu pas que, par le moyen des paroles du prêtre, qui sont après tout les paroles de Dieu, la substance du pain et du

vin est changée en la substance du Corps et du Sang de Jésus-Christ?

Qui oserait assigner des limites à la toute-puissance de Dieu?" C’en fut assez pour éclairer l’ermite, qui, chassant de son esprit tous les doutes, fit une pénitence sévère de son péché. Il ne faut qu’un peu de foi, pour reconnaître que les prérogatives contenues dans cet adorable Sacrifice sont innombrables.

Et d’abord, c’est déjà un grand prodige qu’à toute heure, en mille lieux différents, l’humanité sainte de Jésus se multiplie, jouissant pour ainsi dire d’une sorte d’immensité, que ne possède aucun autre corps, et qu’il a méritée en s’immolant à son Père.

C’est ce que déclarait le démon, parlant par la bouche d’une possédée, à un Juif incrédule. Celui-ci se trouvait sur une place où étaient en même temps beaucoup de personnes, et entre autres une femme possédée.

Un prêtre passa en ce moment, portant le saint viatique à un malade, au milieu d’une grande foule de peuple. Tous s’agenouillèrent pour adorer le Saint Sacrement à son passage: le Juif seul se tint debout, sans donner aucun signe de respect.

La femme, à cette vue se leva furieuse, arracha le chapeau du Juif et lui donna un grand soufflet, en disant: "Malheureux, pourquoi n’honores-tu pas le vrai Dieu, qui se trouve en ce divin sacrement?

— Le vrai Dieu? répondit le Juif; si cela était vrai, il y aurait donc plusieurs Dieux, puisqu’il y en a un sur chacun de vos autels, lorsqu’on y dit la Messe?"

À ce raisonnement, la possédée saisit un tamis, et, le plaçant devant le soleil, elle dit au Juif de regarder les rayons qui pénétraient par les ouvertures. Puis elle ajouta: "Y a-t-il plusieurs soleils qui passent par les trous de ce crible, ou n’y en a-t-il qu’un seul?

Il n’y en a qu’un seul?

— Pourquoi t’étonnes-tu donc que Dieu, quoiqu’il soit invisible et inaltérable, soit par un excès d’amour, réellement présent sur plusieurs autels à la fois?"

Il n’en fallut pas davantage pour confondre le Juif, et le forcer à confesser la vérité.

Oh! si nous avions un peu de foi, nous nous écrierions aussi, dans la ferveur de notre âme: "Non, il n’est point de bornes à la divine puissance." Sainte Thérèse avait de cette puissance une si haute idée, que souvent elle répétait: "Plus les mystères de notre sainte religion sont élevés, profonds, inaccessibles à l’intelligence humaine, plus il convient de les admettre avec fermeté et amour: car nous savons que Dieu, dont le pouvoir est infini, pourrait réaliser des prodiges plus grands encore."

Ravivez donc votre croyance, je vous en conjure, et confessez que cet auguste Sacrifice est le miracle des miracles, la merveille des merveilles, et que sa prérogative la plus étonnante consiste précisément à dominer notre pauvre et court esprit.

Redites, dans votre admiration: "Oh! le rare, l’inappréciable trésor!" — Si de telles considérations vous laissaient indifférent, voyez encore à quel point la sainte Messe vous est nécessaire.

Nécessité de la sainte Messe pour apaiser la justice de Dieu.

Si le soleil n’éclairait pas le monde qu’arriverait-il? Il n’y aurait plus que ténèbres, horreur, stérilité et misère. Et, sans le saint Sacrifice de la Messe, que serions-nous? Nous serions privés de tout bien, en butte à tous les maux et à tous les traits de la colère de Dieu. On s’étonne que Dieu ait en quelque sorte changé sa manière de gouverner les hommes.

Autrefois il prenait le titre de Dieu des armées, il parlait aux peuples au milieu des nuages et la foudre à la main, et il châtiait avec une justice rigoureuse toutes les fautes.

Pour un seul adultère, il fit passer au fil de l’épée vingt-cinq mille personnes de la tribu de Benjamin, pour le péché d’orgueil que commit David en faisant le dénombrement de son peuple, il enleva en peu de temps par la peste soixante mille personnes.

Pour un regard curieux et irrespectueux jeté sur l’arche par les Bethsamites, il en fit massacrer plus de cinquante mille.

Et maintenant, il supporte avec patience, non seulement les vanités et les légèretés, mais les adultères les plus criminels, les plus grands scandales et les blasphèmes les plus horribles que vomissent à chaque instant tant de chrétiens contre son saint Nom.

D'où vient cette différence dans la manière de gouverner les hommes? Nos ingratitudes sont-elles plus excusables qu’autrefois?

Qui osera le dire? Les bienfaits immenses que nous avons reçus nous rendent, au contraire, sans comparaison plus coupables… Le secret, la raison d’une si touchante clémence, c’est à l’autel qu’il réside; c’est dans le Sacrifice de Jésus immolé pour nous à la sainte Messe,

devenu notre victime d’expiation, qu’il faut le chercher. Oui, voilà le soleil de l’Église catholique, qui dissipe les nuages et rend au ciel sa sérénité; voilà l’arc-en-ciel qui apaise les tempêtes de l’éternelle Justice.

Pour moi, je n’en doute guère, sans la sainte Messe le monde serait à cette heure au fond de l’abîme, entraîné par le poids épouvantable de tant d’iniquités. La Messe, voilà le victorieux levier qui le soutient. Voyez donc, après cela, à quel point le divin Sacrifice nous est indispensable.

Ce serait peu de le comprendre si on ne savait pas, lorsqu’il en est besoin, chercher en lui ce qu’il nous offre. Lorsque nous assistons à la sainte Messe, imitons ce que fit un jour le grand Alphonse d’Albuquerque, conquérant des Indes.

L’historien Osorio raconte que cet illustre capitaine, se trouvant avec une partie de son armée sur un navire que les fureurs de la mer allaient faire sombrer, prit dans ses bras un petit enfant qui était là, et, l’élevant vers le ciel: "Si nous autres sommes des pécheurs, ô mon Dieu, s’écria-t-il, cette innocente créature ne vous a jamais offensé: au nom de son innocence, épargnez les coupables!" Chose merveilleuse! le regard du Seigneur s’arrête avec complaisance sur l’enfant, l’Océan s’apaise, le danger disparaît et l’équipage change en cris de joie et d’action de grâces ses mortelles angoisses.

Que fera donc pour nous Dieu le Père, alors que le prêtre, élevant vers lui l’Hostie sacrée, lui présente avec elle son Fils, la parfaite Innocence? Sa miséricorde pourra-t-elle nous refuser quelque chose? pourra-t-elle résister à cette supplication, ne point calmer les flots qui nous assaillent, ne point subvenir à toutes nos nécessités?

Ah! sans cette admirable et divine Victime, sacrifiée pour nous sur la croix d’abord, et ensuite journellement sur nos autels, tout était fini, tout était perdu, et chacun de nous pouvait dire à son frère expirant: "Au revoir en enfer! l’enfer nous réunira!" Mais maintenant, enrichis de ce trésor protecteur, le fruit de la sainte Messe entre les mains, nous surabondons d’espérance; le Paradis est à nous, et une seule chose nous en écarterait, notre perversité calculée.

Baisons-les donc avec amour, ces saints autels; brûlons autour d’eux l’encens et les parfums; mais surtout environnons-les de vénération et de respect, puisqu’ils nous procurent tant et de si précieux biens. lire...