Sandro Magister vient de mettre en ligne sur son blog Chiesa un nouvel article dont le titre risque de masquer la portée : « Le Saint-Office à portée de souris ».
Cet article n’est pas signé ou, plus exactement, la signature est remplacée par « *** » et il prend pretexte de la mise en ligne d’une page web entièrement consacrée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Cette page présente toutes les déclarations de cette congrégation depuis le motu proprio de Paul VI Integrea Servandae du 7 décembre 1965 qui transforma le Saint-office en Congrégation pour la Doctrine de la foi. C’est encore un autre prétexte qui permet à l’auteur anonyme de l’article de présenter un document signé du cardinal Ottaviani. Ce prétexte ou ce « hasard » est présenté ainsi :
Curieusement, la note par laquelle la CDF a présenté sa nouvelle page internet a été publiée précisément le jour de la délicate et importante rencontre entre les dirigeants de ce qui fut le Saint-Office et l’évêque Bernard Fellay, supérieur de la Fraternité Saint-Pie X lefebvriste.
Le document sur lequel l’auteur anonyme entend attirer l’attention est une lettre envoyée par le cardinal Ottaviani aux présidents des conférences épiscopales du monde au… « au sujet de certains abus et d’opinions erronées dans l’interprétation de la doctrine du concile Vatican II ». La lettre date du 24 juillet 1966 et l’interprétation de Vatican II était déjà posée…
Il me paraît intéressant, à titre documentaire, et malgré sa longueur, d’en publier ici le texte complet, en mettant en avant la note l’accompagnant lors de la publication dans les Acta Apostolicae Sedis :
« Nous avons été autorisés à publier la présente lettre afin de faire connaître sa teneur authentique, car, bien que de par sa nature même elle exigeait la plus grande discrétion, certains quotidiens n’ont pas hésité à en publier certaines parties, mais sans respecter le caractère propre du document. De la sorte, des doutes sont apparus sur le contenu de la lettre et sur la fin que, par elle, se proposait le Saint-Siège ».
Lettre aux présidents des conférences épiscopales
Puisque le Concile œcuménique Vatican II, qui vient de prendre une fin heureuse, a promulgué des documents très sages, soit en matière doctrinale, soit en matière disciplinaire, pour promouvoir efficacement la vie de l’Église, le grave devoir incombe au peuple de Dieu tout entier de s’appliquer, de tout son effort, à conduire à sa réalisation tout ce qui, sous l’influence du Saint-Esprit, a été solennellement proposé ou déclaré par cette très vaste Assemblée des évêques, sous la présidence du Souverain Pontife.
À la hiérarchie appartiennent le droit et le devoir de veiller, de diriger et de promouvoir le mouvement de rénovation commencé par le Concile, de telle sorte que les documents et décrets de ce Concile reçoivent une interprétation correcte et soient amenés à leur effet, selon leur force propre et selon leur esprit observé avec le plus grand soin. Cette doctrine, en effet, doit être protégée par les évêques qui, sous Pierre comme Chef, ont la charge d’enseigner avec autorité. C’est d’une manière louable que beaucoup de pasteurs ont entrepris déjà d’expliquer comme il convient la doctrine du Concile.
Cependant, on doit regretter que, de divers côtés, soient parvenues des nouvelles alarmantes au sujet d’abus grandissants dans l’interprétation de la doctrine du Concile, ainsi que d’opinions étranges et audacieuses apparaissant ici et là et qui troublent grandement l’esprit d’un grand nombre de fidèles. Il faut louer les études et les efforts pour mieux connaître la vérité, en distinguant loyalement entre ce qui est de foi et ce qui est opinion ; mais des documents examinés par cette sacrée Congrégation, il résulte qu’il s’agit de jugements qui, dépassant facilement les limites de la simple opinion ou de l’hypothèse, semblent affecter d’une certaine manière le dogme lui-même et les fondements de la foi.
Il est utile de signaler quelques-unes de ces opinions et de ces erreurs, sous forme d’exemple, telles qu’elles sont connues d’après les rapports d’hommes savants et d’écrits publics.
1. Il s’agit en premier lieu de la sacrée Révélation elle-même : il y en a, en effet, qui recourent à l’Écriture sainte, en laissant délibérément de côté la tradition ; mais ils réduisent l’étendue et la force de l’inspiration et de l’inerrance bibliques et ils n’ont pas une juste notion de la valeur des textes historiques.
2. En ce qui concerne la doctrine de la Foi, on dit que les formules dogmatiques sont à ce point soumises à l’évolution historique que leur sens objectif lui-même est sujet à changement.
3. Il arrive que l’on néglige et que l’on minimise à ce point le magistère ordinaire de l’Église, celui surtout du Pontife romain, qu’on le relègue presque dans le domaine des libres opinions.
4. Certains ne reconnaissent presque plus une vérité objective absolue, ferme et immuable ; ils soumettent toutes choses à un certain relativisme, en avançant comme raison que toute vérité suit nécessairement le rythme de l’évolution de la conscience et de l’histoire.
5. La personne adorable elle-même de Notre-Seigneur Jésus-Christ est atteinte lorsque, en repensant la christologie, on use de notions sur la nature et sur la personne qui sont difficilement conciliables avec les définitions dogmatiques. Un certain humanisme christologique se répand qui réduit le Christ à la simple condition d’un homme qui, peu à peu, aurait acquis la conscience de sa divine filiation. Sa conception virginale, ses miracles, sa résurrection elle-même sont concédés en paroles, mais sont ramenés en réalité à l’ordre purement naturel.
6. De même, dans la manière de traiter la théologie des sacrements, certains éléments sont ou ignorés ou ne sont pas considérés suffisamment, surtout en ce qui concerne la Très Sainte Eucharistie. Au sujet de la présence réelle du Christ sous les espèces du pain et du vin, il en est qui dissertent en favorisant un symbolisme exagéré, comme si le pain et le vin n’étaient pas changés par la transsubstantiation au corps et au sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais étaient simplement transférés à une certaine signification. Il en est aussi qui, au sujet de la messe, favorisent plus qu’il n’est juste l’idée d’agapes, au détriment de l’idée de sacrifice.
7. Certains aiment expliquer le sacrement de pénitence comme moyen de réconciliation avec l’Église et ne soulignent pas assez la réconciliation avec Dieu offensé. Ils prétendent aussi que pour la célébration de ce sacrement la confession personnelle des péchés n’est pas nécessaire, tandis qu’ils s’appliquent à exprimer uniquement la fonction sociale de réconciliation avec l’Église.
8. Il n’en manque pas qui minimisent la doctrine du Concile de Trente sur le péché originel ou qui la commentent de telle manière que la faute originelle d’Adam et la transmission de son péché sont, pour le moins, obscurcies.
9. Non moindres sont les erreurs qui circulent dans le domaine de la théologie morale. Beaucoup, en effet, osent rejeter la raison objective de la moralité ; d’autres n’acceptent pas la loi naturelle et affirment la légitimité de ce qu’ils appellent la morale de situation. Des opinions pernicieuses sont répandues sur la moralité et la responsabilité en matière sexuelle et de mariage.
10. À tout cela, il faut ajouter une note sur l’œcuménisme. Le Siège apostolique approuve assurément ceux qui, dans l’esprit du décret conciliaire sur l’œcuménisme, prennent des initiatives pour favoriser la charité avec les frères séparés et les attirer à l’unité de l’Église ; mais il regrette qu’il ne manque pas de personnes qui, interprétant à leur manière le décret conciliaire, préconisent une action œcuménique qui offense la vérité sur l’unité de la foi et de l’Église, en favorisant un dangereux irénisme et indifférentisme, ce qui est entièrement étranger à l’esprit du Concile.
Ces erreurs et ces dangers, répandus les uns ici, les autres là, sont rassemblés sous forme de synthèse sommaire dans cette lettre aux Ordinaires des lieux afin que chacun, selon sa fonction et son office, s’efforce de les enrayer ou de les prévenir.
Ce Sacré Dicastère prie instamment ces mêmes Ordinaires des lieux, rassemblés en conférences épiscopales, d’en traiter et d’en faire rapport au Saint-Siège d’une manière opportune en faisant connaître leurs avis avant la fête de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ de cette année.
Que les Ordinaires et ceux à qui ils estimeront devoir les communiquer, gardent sous le strict secret cette lettre qu’une raison évidente de prudence interdit de rendre publique.
Rome, le 24 juillet 1966.
A. Cardinal Ottaviani
http://www.riposte-catholique.fr/summorum-pontificum-blog/documents-summorum/une-lettre-du-cardinal-ottaviani-sur-linterpretation-de-vatican-ii