A LA SAINTE MESSE.
CHAPITRE PREMIER. Comment le prêtre qui veut célébrer la messe doit s'éprouver.
Je vais, en l'honneur de la
glorieuse et indivisible Trinité , et pour la gloire du
sacrement par excellence du corps précieux et du sang de Jésus-Christ Notre-Seigneur , vous tracer une règle par laquelle vous
pourrez vous élever facilement à la contemplation d'un si auguste mystère, et
vous disposer à le recevoir comme il convient. Mais au lieu de parcourir cette
règle avec rapidité et superficiellement, vous devez vous efforcer d'en imprimer
efficacement le sens en votre coeur , et méditer avec
soin et amour chacune des choses qu'elle renferme, soit, en totalité, soit en
partie, selon qu'elles sont exposées.
Avant donc de vous approcher de
ce festin céleste, éprouvez-vous vous-même, selon la parole de l'Apôtre, et
examinez attentivement avec quelle foi , dans quel but,
avec quelle charité, pourquoi ou pour quelle cause vous faites une action
semblable. En vous disposant à ce banquet divin par un examen aussi diligent,
vous aurez accompli le commandement que saint Paul vous fait de vous éprouver
vous-même (1).
1 I Cor., 13.
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Considérez chacune de ces quatre
choses en particulier, et voyez d'abord quelle foi exigent de vous la vérité et
l'essence de ce sacrement. Vous devez croire fermement et sans le moindre doute,
ainsi que l'enseigne et le prêche l'Eglise catholique, qu'au moment où les
paroles de Jésus-Christ sont prononcées, le pain matériel et visible , comme
s'il rendait honneur à son Créateur véritable , cède la place au pain céleste et
vivifiant qui devient présent ; c'est-à-dire qu'il abandonne l'apparence visible
des accidents, selon que l'exigent l'accomplissement et le besoin du sacrement,
et que, cessant d'exister d'une manière admirable et ineffable, il est remplacé
réellement au même instant sous ces accidents par ce que nous allons dire :
D'abord, par la chair très-pure de Jésus-Christ et son corps sacré qui, par
l'opération du Saint-Esprit, a été tiré du sein de la glorieuse vierge Marie,
attaché à la croix, mis dans le sépulcre et glorifié dans le ciel.
En second lieu, comme la chair ne
saurait vivre privée du sang, il y a nécessairement ce sang précieux qui a coulé
sur la croix d'une façon si avantageuse au salut du monde.
En troisième lieu, un homme
véritable ne pouvant exister sans une âme raisonnable, là aussi se trouve l'âme
glorieuse de Jésus-Christ, cette âme qui surpasse en grâce toute vertu , toute gloire , toute puissance, et dans laquelle ont
été renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu.
Enfin Jésus-Christ étant vrai
Dieu et vrai homme, nous avons dans ce sacrement le Dieu de gloire en
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sa majesté. Ces quatre choses toutes
ensemble , et chacune tout entière en particulier, sont
contenues parfaitement à la fois sous les espèces du pain et du vin. Il n'y a
pas moins dans le calice que dans l'hostie, ni dans l'hostie que dans le calice;
le défaut de l'un n'est pas suppléé par l'autre, attendu qu'il n'y a aucun vide,
mais que tout est en entier sous les deux espèces pour l'accomplissement de ce
mystère, dont nous pourrions parler longuement. Mais qu'il nous suffise de
croire qu'il y a contenu sous chaque espèce celui qui est Dieu et homme
véritable, celui que la multitude des anges environne et que l'assemblée des
saints bénit.
CHAPITRE II. Pourquoi Jésus-Christ n'est présent que sous les deux espèces du pain et du vin.
Voyez combien Jésus-Christ a été
conduit par de puissantes raisons en choisissant de préférence ces deux espèces
pour se rendre présent parmi nous. D'abord , le pain et
le vin forment l'aliment par excellence de tout l'homme. Le pain nourrit sa
chair, et le vin se transforme en son sang , qui est le
siége de l'âme. En second lieu, l'homme use principalement et plus communément
de ces aliments, et ils sont les plus sains et les moins sujets à inspirer le
dégoût; aussi la pureté de la réfection spirituelle est-elle
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parfaitement représentée par eux. En
troisième lieu, ils sont une figure très-belle de la
Passion de Jésus-Christ, dont le souvenir se renouvelle chaque jour par ce
sacrement. Le pain signifie ce corps qui a été trituré, moulu et pétri dans la
Passion, cuit et desséché au feu du divin amour dans un four qui n'est autre que
l'autel de la croix. Le vin signifie le sang qui a été exprimé du raisin , c'est-à-dire du corps de Jésus-Christ, sous le
pressoir de cette même croix, par les efforts du peuple juif. Enfin ces deux
aliments nous offrent, en dernier lieu, une image parfaite du corps mystique du
Sauveur, qui est son Eglise formée d'une multitude de fidèles prédestinés à la
vie, de même que le pain est formé d'un nombre considérable de grains , et le
vin d'une quantité de raisins divers.
Lors donc que vous vous approchez
de ce sacrement, prenez garde de ne point vous laisser ébranler par le doute, et
de n'être point comme un aveugle qui tâtonne , en
voulant vous appuyer sur un roseau, je veux dire sur des raisonnements naturels,
sur des raisons humaines, pour découvrir comment tout cela peut se faire, à
l'exemple des juifs qui disputaient aussi sur ce sujet, et de certains disciples
qui s'en scandalisèrent et reculèrent en arrière (1). Mais soumettez-vous tout
entier à Dieu, et tenez votre âme captive sous le joug de la foi , qui vous apparaît fortifiée par des témoignages si
imposants. Quel doute, en effet, pouvez-vous former sur ce sacrement, qui
1 Joan., 6.
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a été donné par Jésus-Christ d'une
façon si expresse et si claire, enseigné par les Apôtres et par tous les saints
Docteurs de l'Eglise , figuré pendant une si longue série d'années, et que nous
voyons confirmé par tant de cérémonies, de miracles, de prodiges et de saintes
observances, qui sont comme autant de témoignages palpables de sa vérité? Otez
de l'Eglise ce sacrement : que restera-t-il dans le monde, si ce n'est l'erreur
et l'infidélité! Vous verrez alors si le peuple chrétien ne sera point comme un
troupeau dispersé, et s'il ne se plongera pas dans l'idolâtrie, ainsi que le
reste des infidèles. C'est par ce sacrement que l'Eglise se maintient, que la
foi s'affermit, que la religion de Jésus-Christ se conserve en sa jeunesse et le
culte de Dieu dans sa force. C'est pour cela que le Sauveur a dit : « Je suis
avec vous jusqu'à la fin du monde. »