LA PRIERE DU
CŒUR
PAR
Père MARTIN DE COCHEM
Frère mineur capucin
Traduit de l'Allemand par A. Rugemer, o. s. c.
Père MARTIN DE COCHEM
Frère mineur capucin
Traduit de l'Allemand par A. Rugemer, o. s. c.
> publié en allemand en 1896, en français en 1901 et dans cette version réduite en 1929 aux éditions Les Voies franciscaines.
Avertissement au lecteur Le texte que nous vous proposons est important car il témoigne que dés la fin du XIXème siècle la prière du coeur est connue en occident avec des références précises à l'Ecriture, aux pères de l'Eglise orientaux mais aussi occidentaux comme Saint Benoit ou Saint Bernard ainsi que par des exemples tirés de la vie de Saint François d'Assise.
La "méthode" de la prière du coeur n'est pas une "invention" orientale; elle fait partie de l'héritage commun de toutes les Eglises chrétiennes même si le développement de sa pratique s'est largement répandu au XVIIIème et XIXème siècle au sein de l'Eglise orthodoxe orientale.
Il n'est pas étonnant que ce soit un moine de la famille franciscaine qui ait écrit ce texte quand on sait que Saint François priait en répétant des nuits entières le simple nom de Jésus.
La traduction du texte allemand original qui a été faite au début du XXème siècle exprime par contre un sentiment piétiste et sulpicien de l'époque sur lequel il convient de ne pas s'attarder pour se concentrer sur le fond de cet enseignement donné à tous comme chemin de transformation et de relation à Dieu.
Si nous retrouvons le texte allemand original nous vous en proposerons une nouvelle traduction.
Préface
Chapitre premier Nécessité de la prière
Chapitre deuxième Combien il faut prier
Chapitre troisième De la prière continuelle
Chapitre quatrième Combien la méditation est facile
Chapitre cinquième De la prière en esprit
Oraisons jaculatoires
LA PRIERE DU CŒUR par
Père Martin de Cochem
CHAPITRE TROISIEME
DE LA PRIÈRE CONTINUELLESaint Ambroise dit : « Quand vous lisez, c'est Dieu qui vous parle, mais quand vous priez, c'est vous qui parlez à Dieu. » Ces quelques mots font ressortir l'excellence de la .prière. L'âme en est élevée jusqu'à Dieu, elle y reçoit l'immense honneur, la grâce inestimable de traiter avec Lui! Pour se faire entendre des hommes, il faut nécessairement user de la langue, l'homme étant un être matériel qui ne saurait comprendre sans le secours des signes sensibles, des sons articulés. Il en est bien autrement de Dieu qui n'a besoin, pour comprendre, d'aucune parole, d'aucun signe : il suffit de répandre notre cœur en sa présence et nos plus secrètes pensées sont à découvert devant lui : « Dieu est Esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité » .
Le divin Maître nous révèle par ces mots la supériorité de la prière mentale sur la prière vocale, et nous enseigne qu'il est plus avantageux de prier seulement du cœur que de prier des seules lèvres. Expliquant ce passage de l'Evangile, saint Grégoire dit : « La vraie prière ne consiste pas en des paroles, mais dans les pensées du cœur; ce ne sont pas les mots, mais les désirs qui crient vers Dieu. Si nous demandons la vie éternelle de bouche seulement, si haut que s'élèvent nos clameurs, nous demeurerons muets; mais par un désir véhément du cœur, notre appel percera les nues et pénétrera jusqu'au trône de Dieu. »
Une foule de personnes errent sur ce point. Elles se donnent beaucoup de peine sans aucun profit, leurs interminables prières n'étant qu'un vain mouvement des lèvres, auquel ne se joint aucune attention. Savent-elles seulement ce qu'elles disent? Vraiment c'est pitié de voir ainsi se conduire beaucoup de ceux qui sont consacrés à Dieu, aussi bien que les gens du monde. Pourvu qu'ils aient récité quantité de Pater ou lu nombre de pages sur un recueil, ils se croient fort dévots et âmes de grande oraison.
Evidemment, il y a des prières à réciter d'une manière distincte : l'office ecclésiastique, les formules indulgenciées, le saint Rosaire, la pénitence imposée par le confesseur, etc. Mais quand il s'agit d'une prière laissée à notre choix, elle sera certainement plus efficace, plus fervente, si nous l'adressons à Dieu mentalement, si elle est un mouvement spontané de notre cœur vers lui. Inutile d'invoquer ici le témoignage de l'Ecriture ou celui des Pères; notre expérience suffit. Dites-moi, ô Chrétien, quand vous lisez dans un formulaire ou que vous récitez de mémoire une suite d'oraisons, n'est-il pas vrai que vous vous sentez presque toujours distrait, le cœur sec, et que votre imagination se livre à tous les écarts? Au contraire, si vous répandez votre cœur devant Dieu par une prière mentale, tout votre être est concentré sur ce colloque intime, une douce onction, une ineffable consolation vous pénètre tout entier.
Puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne pas changer vos longues prières vocales contre l'oraison mentale? Comment s'y prendre? dites-vous. Jésus vous l'enseigne : « Quand vous priez, ne multipliez pas les paroles comme font les païens qui s'imaginent d'être exaucés à force de paroles... Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez» . Ainsi donc employez peu de mots, contentez-vous d'exposer vos besoins au Père du ciel. Plus votre prière sera simple, humble, candide, plus elle plaira à Dieu et sera puissante auprès de lui. Témoin le publicain de l'Evangile. Il se tenait à la porte du temple, n'osant lever les yeux au ciel, et se frappait la poitrine disant : «Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur» . Sans doute, il aura répété maintes fois la même supplication, et à chaque fois son repentir aura été plus parfait.
Ailleurs, nous voyons la cananéenne suivre le Sauveur et crier : « Jésus, fils de David, ayez pitié de moi! » . Elle aussi a répété sans se lasser le cri de son cœur de mère, puisque les disciples priaient le Seigneur de l'exaucer pour les délivrer de ses cris. Vous connaissez le miracle obtenu par cette prière.
Enfin, au Jardin des Oliviers, Jésus-Christ lui aussi a répété trois fois sa prière : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice passe loin de moi! Cependant, que votre volonté soit faite et non la mienne ». Voulant nous enseigner par là que pour bien prier, peu de paroles suffisent, et que pour enflammer l'esprit, il est bon d'en choisir quelques-unes et de les répéter souvent.
Il est rapporté dans la vie des Pères, que saint Paphnuce après avoir converti la pécheresse Thaïs, l'enferma dans une étroite cellule, percée d'une seule fenêtre, par laquelle on lui portait chaque jour du pain et de l'eau pour sa nourriture. Puis, comme elle lui demandait à quelles prières elle devait s'appliquer, il lui dit : « A cause de tes énormes péchés, tu n'es pas digne de prononcer le nom de Dieu; pour toute prière, dis seulement ces paroles : « Vous qui m'avez créée, ayez pitié de moi ! » Pendant trois ans, la recluse pénitente soupira de cette manière vers son Créateur, lavant ses péchés de ses larmes. Or, une nuit, Paul, disciple de saint Antoine, eut une vision : le ciel s'ouvrait, et un trône magnifique y était préparé pour un bienheureux. Tandis qu'il se demandait à tant de gloire était réservée, une voix lui dit : « Ce trône est destiné à la pécheresse Thaïs. » Informé de cette vision, saint Paphnuce rendit la liberté à sa pénitente, et Thaïs mourût saintement quelques jours plus tard.
De même, saint Antoine, solitaire, avait un disciple qui vint lui manifester un jour son grand désir d'aller visiter d'autres solitaires renommés, pour apprendre d'eux la bonne manière de servir Dieu et de prier. « Mon fils, lui dit le saint, oubliez tous les autres exercices, demeurez dans votre cellule, répétez du fond du cœur ces paroles du publicain : Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pauvre pécheur; et vous serez parfait. »
Oui, quand vous voulez prier efficacement, soupirez dans votre cœur : Mon Dieu, ayez pitié de moi! Vous en aurez dit assez, car ces paroles renferment la confession de nos péchés, aussi bien que la demande du pardon. Qui dit : Mon Dieu, ayez pitié de moi! reçoit le pardon de ses péchés et n'a plus de châtiment à craindre. Qui dit : Ayez pitié de moi! gagne le royaume du ciel, car celui que Dieu prend en pitié n'est pas seulement délivré de la peine due au péché, il est encore autorisé à rentrer en possession des biens éternels. Ah ! puisque tel est le mérite de cette brève aspiration, répétez-la sans cesse, comme si elle était la respiration même de votre âme.
J'insiste sur ce point : ne surchargez pas votre mémoire de longues et nombreuses formules; il suffit de quelque courte invocation, choisie parmi celles qui touchent l'âme le plus vivement et l'inclinent vers l'humilité et la contrition. Cette aspiration répétée renouvellera à chaque instant votre esprit. Eussiez-vous imploré la miséricorde divine mille et mille fois comme la pécheresse Thaïs, ne vous lassez pas de l'implorer encore nuit et jour, jusqu'au dernier instant de votre vie.
Les belles paroles n'émeuvent notre Dieu : c'est le cœur contrit et humilié qui lui fait violence. Du reste, pour le choix plus facile, nous avons réuni ci-après un certain nombre d'oraisons jaculatoires. Ces rapides élans de l'âme peuvent se pratiquer avec grand fruit, même pendant la récitation des heures canoniales, car ils excitent l'amour de Dieu et prémunissent l'esprit contre les distractions. Assurément, le texte sacré du saint Office doit être prononcé seul, mais il est très bon d'entremêler à la prière quelques soupirs enflammés, pour affermir la dévotion et la soutenir jusqu'au bout.