Celui qui se fait appeler désormais André-Joseph Léonard en hommage au saint patron des Belges, a de la suite dans les idées: lors d'un précédent passage à Matin Première, il avait chanté lui-même un pastiche de Georges Brassens. Au micro de Betrand Henne, il choisit cette fois encore une chanson du "mécréant" Georges Brassens pour illustrer musicalement son interview : "Je vous salue Marie", le très beau texte de Francis Jammes en forme de prière, qu'il adresse, dit-il, aux victimes du séisme en Haïti.
Le cardinal Danneels disait que son successeur devrait être un rassembleur, proche des fidèles, qui évitera de leur parler avec supériorité et mépris. Une mise en garde que Mgr Léonard reprend à son compte : "Un archevêque doit d'abord avoir une empathie, une sensibilité pour les gens. Il n'est pas là pour imposer ses idées, imposer son style, mais pour être proche du peuple qui lui est confié ; et sur ce plan-là je rejoins tout à fait la conviction du cardinal", dit-il.
Souvent qualifié de conservateur, le nouveau primat de Belgique ne renie pas pour autant le terme : "Ce n'est pas que je sois un conservateur de musée, mais il y a des choses qu'il faut conserver, parce que la foi chrétienne a une source, une origine (...). On vient d'une longue tradition de vingt siècles, c'est comme un fleuve : un fleuve ne coule, n'irrigue et ne fait vivre que s'il reste branché sur la source. Mais en même temps un fleuve doit épouser le terrain". On peut être conservateur, dit-il encore, tout en étant "très attentif aux besoins, aux requêtes d'aujourd'hui, aux souffrances et aux espérances d'aujourd'hui". Poursuivant avec cette parabole du fleuve, le nouvel archevêque conclut qu'au même titre que le but du fleuve est de déboucher, "de même si je conserve ce qui doit être conservé, c'est aussi pour rejoindre le monde d'aujourd'hui et nous orienter ensemble vers l'au-delà de ce monde-ci, que les chrétiens appellent le royaume de Dieu".
Pas de racolage
Mgr Léonard dit respecter les inquiétudes que les gens peuvent avoir à son sujet, mais, dit-il, "je pense qu'elles sont largement surfaites et qu'on me surestime sur ce plan-là". Il reconnaît un "problème" chez lui : "D'une part il est vrai que je suis ferme dans mes convictions, fidèle à la tradition dans laquelle je m'inscris et en même temps très peu conformiste, très souple dans la manière de rencontrer les gens. Cela peut désarçonner au début, mais je pense qu'avec l'expérience, on verra que la situation est beaucoup plus nuancée et plus complexe que les étiquettes que l'on colle volontiers à mon sujet". Mais André-Joseph Léonard est aussi capable de faire acte de contrition : ces étiquettes sont "sans doute en partie méritée, il n'y a pas de fumée sans feu", même s'il estime qu'elles sont "exagérées".
Dans un contexte de raréfaction des fidèles et de baisse constante de la pratique religieuse en Belgique, est-il encore possible de faire revenir des gens dans les églises ? "Mon but n'est pas de racoler des gens", dit Mgr Léonard. "Mon but est qu'il y ait une vitalité chrétienne suffisante, même si elle est limitée numériquement, pour être attractive. C'est le Seigneur qui doit attirer, ce n'est pas nous qui devons racoler". S'il est transparent que Dieu est à l'œuvre en ce monde, fut-ce à travers une minorité et au moins en quelques endroits, explique Mgr Léonard, "cela permettra au Seigneur d'attirer vers lui au travers de ces communautés, comme cela s'est fait aux débuts de l'Eglise dans l'empire romain".
Liberté de critique
Confronté à la mise en garde de Laurette Onkelinx, qui disait son inquiétude à l'idée que l'Eglise sous la houlette de Mgr Léonard puisse s'opposer à une loi votée démocratiquement, il rappelle que des grands mouvements populaires se sont parfois élevés contre des lois pourtant adoptées par le parlement. "Je n'imagine pas que Madame Onkelinx pense que l'on ne peut jamais avoir un avis sur une loi qui a été votée démocratiquement. On garde dans ce pays une liberté d'expression. Si la classe ouvrière n'est pas contente d'une loi qui porte atteinte à ce qu'elle juge être sa dignité, elle a le droit de protester". C'est donc très clair pour lui : "Si je trouve avec d'autres qu'une loi ne respecte pas ce qui est la nature profonde du mariage, par exemple, je garde la liberté d'émettre une critique vis-à-vis de cette loi tout en respectant les rouages démocratiques".
Pas de stratégie sur l'éthique
Sur les questions éthiques, André-Joseph Léonard dit ne pas avoir de stratégie, "pour la simple et bonne raison que jamais je ne parle de ma propre initiative de ces questions. Mes préoccupations majeures sont ailleurs, sur le plan de la foi. Elles vont vers les questions qui se posent aujourd'hui lorsque les gens voient le tremblement de terre (à Haïti, NDLR) : est ce que Dieu existe ? Est-ce qu'il est vraiment bon ? Est-ce qu'il est si puissant qu'on le dit ? Comment ce fait-il qu'il y ait tant de mal dans le monde ? Est-ce que Jésus apporte une réponse à ces questions ? Ca ce sont mes véritables priorités ». Ramassant sa pensée, il tranche : "Il ne faut pas penser que toute la Bible, depuis la première ligne de la Genèse jusqu'à la dernière de l'Apocalypse ne fait que parler de préservatif, d'homosexualité et d'avortement ... Je suis prêt à parler de ces questions lorsqu'on m'impose d'en parler -et il est utile d'en parler- mais ce n'est pas mon occupation quotidienne".
Il n'empêche, les propos qu'il a tenus notamment sur l'homosexualité le poursuivent. Et lorsqu'il est amené à préciser su oui ou non, selon lui, l'homosexualité est un péché, Mgr Léonard persiste : "C'est un comportement qui n'est pas dans la logique du sens de la sexualité. En ce sens, ce n'est pas un comportement moralement exemplaire. Ca, je dois continuer à le dire parce que je le pense et parce que je pense que c'est vrai. Mais, transposer sur les personnes l'appréciation que je porte sur un comportement, c'est gravement injurieux et c'est quelque-chose que je ne permettrais jamais".
André-Joseph Léonard assume donc les propos qu'il tient à ce sujet, "mais pas ceux que l'on me fait dire sans que je les ai dits". Il faut respecter le sens des mots, proclame l'ancien professeur de philosophie
"Plus une religion s'assimile au monde, plus elle devient superflue"avait dit un jour le Cardinal Jozef Ratzinger, qui allait devenir le pape Benoît XVI, pour signifier que la religion ne devait pas trop s'adapter au monde contemporain. "C'est tout à fait vrai", abonde Mgr Léonard, "Jésus a parlé de la foi et de l'engagement chrétien comme 'sel de la Terre, levain de la pâte'. Si le levain s'identifie totalement à la pâte, il n'apportera plus rien à la pâte et sera dissous simplement. Il est intéressant parce qu'il est différent, mais il est dedans ... "
Thomas Nagant