domingo, 31 de janeiro de 2010

LE TEMPS DE LA SEPTUAGESIME PAR Dom Guéranger L'ANNÉE LITURGIQUE

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CHAPITRE I

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LE TEMPS DE LA SEPTUAGESIME

CHAPITRE PREMIER. HISTORIQUE DU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.

Le Temps de la Septuagésime comprend la durée des trois semaines qui précèdent immédiatement le Carême. Il forme une des divisions principales de l'Année liturgique, et il est partagé en trois sections hebdomadaires, dont la première porte seulement le nom de Septuagésime, la seconde celui de Sexagésime, et enfin la troisième celui de Quinquagésime.

On voit, dès le premier abord, que ces noms expriment une relation numérique avec le mot Quadragésime, dont notre mot Carême est dérivé. Or, le mot Quadragésime signifie la série des quarante jours qu'il faut traverser pour arriver à la grande fête de Pâques. Les mots Quinquagésime, Sexagésime et Septuagésime nous montrent cette solennité dans un lointain plus prolongé ; mais elle n'en est pas moins le grand objet qui

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commence à préoccuper la sainte Eglise, et qu'elle propose à ses enfants comme le but vers lequel désormais doivent tendre tous leurs désirs et tous leurs efforts.

Or, la fête de Pâques exige pour préparation quarante jours de recueillement et de pénitence ; cette sainte carrière est l'un des principaux incidents de l'Année liturgique, et le plus puissant moyen qu'emploie l'Eglise pour raviver dans le cœur et dans l'esprit des fidèles le sentiment de leur vocation. Il est du plus haut intérêt pour eux de ne pas laisser s'écouler cette période de grâces, sans en avoir profité pour le renouvellement de leur vie tout entière. Il était donc convenable de les préparer à ce temps de salut, qui est lui-même une préparation, afin que les bruits du monde s'éteignant peu à peu dans leurs cœurs, ils fussent plus attentifs à l'avertissement solennel que l'Eglise leur doit faire, en imposant la cendre sur leurs fronts, à l'ouverture de la sainte Quarantaine.

Ce prélude aux saintes tristesses du Carême n'était pas en usage aux premiers siècles du christianisme; l'institution paraît en avoir commencé dans les Eglises d'Orient. La coutume de celle de Constantinople étant de ne pas jeûner le samedi, elle commence le jeûne rigoureux dès notre lundi de Quinquagésime, et s'y prépare progressivement dans les semaines précédentes en la manière que nous ferons connaître en son lieu.

D'autres Eglises orientales, signalées par Ratramne dans sa Controverse avec les Grecs (1) se trouvaient amenées par la coutume de ne pas jeûner non plus le jeudi à ouvrir l'observance quadragésimale neuf semaines avant Pâques. En

1 Ratramn. Contra Graecorum opposita, Lib. IV, cap. IV.

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cette manière même, elles n'avaient que trente-six jours de jeûne ainsi que les Grecs. Mais primitivement l'Occident lui-même ne dépassait pas ce nombre, qui formait pour Dieu, dit encore saint Grégoire le Grand, la dîme de l'année (1). Un passage de saint Maxime de Turin nous montre qu'au V° siècle, l'addition des quatre jours qui précèdent aujourd'hui le premier Dimanche de Carême, était seulement le fait de la dévotion de quelques-uns, et non une coutume générale (2).

C'est donc postérieurement que les derniers jours de la semaine de Quinquagésime, à partir du Mercredi appelé des Cendres, ont été ajoutés au Carême, afin de compléter le nombre de quarante jours de jeûne. Il est certain toutefois que déjà, au IX° siècle, cet usage avait force de loi généralement dans l'Eglise latine. Amalaire, qui décrit en détail la Liturgie de ce siècle, nous assure que le jeûne commençait bien dès lors quatre jours avant le premier Dimanche de Carême. Cette disposition se trouve confirmée dans le même siècle par les conciles de Meaux et de Soissons. Déjà tous les manuscrits du Sacramentaire grégorien sont unanimes à désigner ce Mercredi par les mots In capite jejunii, c'est-à-dire commencement du jeûne. Toutefois, dans son respect pour la forme du service divin établie primitivement, l'Eglise n'a admis aucun changement considérable dans ses Offices, durant ces quatre jours. Elle garde le rite de la semaine de Quinquagésime jusqu'aux Vêpres du samedi, auxquelles commence le rite quadragésimal.

Au XII° siècle, Pierre de Blois exprimait ainsi la pratique de son temps : « Tous les religieux

1. Greg. Homil. XVI in Evangel — 2. Maxim. Taurin. Hom. XXXVI,

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commencent le Carême à la Septuagésime, les « Grecs à la Sexagésime , les Ecclésiastiques à la Quinquagésime ; enfin, toute l'armée des chrétiens qui milite sur la terre, le Mercredi suivant (1). » On voit par ce passage que le clergé séculier était astreint au jeûne quadragésimal quelques jours avant les simples fidèles. Cette abstinence ne commençait toutefois que le lundi, ainsi qu'il paraît par la Vie de saint Udalric, évêque d'Augsbourg, qui a été écrite au X° siècle. Le concile de Clermont, présidé par Urbain II en 1095, contient un décret qui sanctionne l'obligation pour les Clercs de s'abstenir de viande à partir de la Quinquagésime. Ce dimanche était appelé Dominica carnis privii, et encore Carnis priviam sacerdotum ; mais il faut entendre cette appellation en ce sens qu'on y proclamait l'abstinence comme devant commencer le lendemain. Nous observerons un usage analogue dans l'Eglise grecque pour les trois dimanches qui précèdent le Carême. Au XIII° siècle, les Clercs étaient encore obligés à ces deux jours de subrogation, comme on le voit par un concile d'Angers, qui frappe de suspense les prêtres qui ne commenceraient pas le Carême le lundi de Quinquagésime. Cet usage cessa néanmoins peu après; le clergé séculier et les moines eux-mêmes, dès le XV° siècle, commençaient le jeûne quadragésimal le Mercredi des Cendres avec tous les fidèles.

On sait que la Liturgie gallicane avait conservé plusieurs usages des Eglises d'Orient, auxquelles elle devait en partie son origine, et ce ne fut pas sans difficulté qu'on parvint à introduire dans les

1. Serm. XIII.

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Gaules l'abstinence et le jeûne du samedi. Avant que nos Eglises eussent adopté sur ce point la coutume romaine, elles se trouvaient, comme celles de l'Orient, dans la nécessité d'anticiper le jeûne du Carême. Le premier concile d'Orléans, tenu au commencement du vie siècle, ordonne aux fidèles d'observer avant Pâques Quadragésime et non Quinquagésime, afin, dit le Canon, de maintenir l'unité des usages. Vers la fin de ce siècle, le quatrième concile tenu dans la même ville répète la même défense, et en explique les intentions par l'injonction qu'il fait de jeûner les samedis de Carême. Déjà le premier et le second conciles d'Orange, en 511 et 541, avaient attaqué le même abus, en défendant pareillement d'obliger les fidèles à commencer le jeûne dès la Quinquagésime. L'introduction de la Liturgie Romaine en France, par les soins de Pépin et de Charlemagne, acheva d'établir chez nous l'usage déconsidérer le samedi comme un jour de pénitence; et, comme on vient de le voir, l'anticipation du Carême au lundi de Quinquagésime ne fut plus pratiquée que par le clergé. Au XIII° siècle, de toutes les Eglises du patriarcat d'Occident, il n'y avait plus que celles de Pologne qui fussent dans l'usage de commencer le Carême avant l'Eglise Romaine; elles l'ouvraient au lundi de Septuagésime, par suite de leurs relations avec les rites des Eglises orientales. Cette coutume fut abolie en 1248 par Innocent IV.

Mais si l'Eglise Romaine, au moyen d'une anticipation de quatre jours seulement, parvint à compléter d'une manière précise la sainte Quarantaine que le Sauveur lui-même avait inaugurée par son exemple, en même temps qu'elle maintenait son antique usage de considérer le samedi

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comme un jour propre aux exercices de la pénitence, elle emprunta volontiers à l'Eglise grecque l'usage de prévenir, par les saintes tristesses de la Liturgie, durant trois semaines entières, l'ouverture du Carême. On voit par Amalaire que, dès le commencement du IX° siècle, on suspendait déjà l’Alleluia et le Gloria in excelsis, à la Septuagésime. Les moines se conformèrent à cet usage, quoique la Règle de saint Benoît exprimât une disposition contraire. Enfin le règlement du Pape Alexandre II, dans la seconde moitié du XI° siècle, établit partout l'uniformité, en prescrivant la suspension absolue de l’Alléluia aux Vêpres du samedi qui précède le dimanche de Septuagésime. Ce Pontife ne faisait que renouveler une disposition déjà sanctionnée par saint Léon IX, et consignée au Corps du Droit (1).

C'est ainsi que cette importante période de l'Année liturgique, après divers essais, finit par s'établir sur le Cycle, où elle figure depuis plus de mille ans. Le nom qu'on lui a donné exprime, ainsi que nous l'avons dit, une relation numérique avec le Carême; mais il n'y a en réalité que soixante-trois jours du dimanche de Septuagésime à Pâques. Une intention mystérieuse a présidé à cette dénomination ; nous en parlerons au chapitre suivant. Le premier dimanche de Carême portant le nom de Quadragésime, on est remonté en rétrogradant jusqu'aux trois dimanches qui précèdent, en gardant l'ordre par dizaine, de quarante à soixante-dix.

Le temps de la Septuagésime étant fondé sur l'époque de la Pâque, il est, par là même, sujet au retard ou à l'anticipation, selon le mouvement

1. Cap. Hi duo, De consec. Dist. I.

de cette fête. On appelle le 18 janvier et le 22 février Clefs de la Septuagésime, parce que le Dimanche qui porte ce nom ne peut pas remonter plus haut que la première de ces deux époques, ni descendre plus bas que la seconde.

CHAPITRE II

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CHAPITRE II. MYSTIQUE DU TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME.

Le temps où nous entrons renferme de profonds mystères ; mais ces mystères ne sont point propres seulement aux trois semaines que nous devons traverser pour arriver à la sainte Quarantaine ; ils s'étendent sur toute la période de temps qui nous sépare de la grande fête de Pâques.

Le nombre septénaire est le fondement de ces mystères. Nous avons vu comment la sainte Eglise avait été en travail pour la partie du Cycle que nous parcourons présentement. Aujourd'hui elle en est en possession, et elle nous invite à méditer les enseignements renfermés sous les symboles qui nous y sont proposés. Mais il est nécessaire de reprendre la doctrine de plus haut. Saint Augustin nous servira d'introducteur à tant de merveilleux secrets. « Il y a deux temps, dit ce grand Docteur dans son Enarration sur le Psaume CXLVIII : l'un, celui qui s'écoule maintenant dans les tentations et les tribulations de cette vie ; l'autre, celui qui doit se passer dans une sécurité et dans une allégresse éternelles. Ces deux temps, nous les célébrons, le premier avant la Pâque, le second après la Pâque. Le temps avant la Pâque exprime les angoisses de la vie présente ; celui que nous célébrons après la Pâque signifie la béatitude que nous goûterons un jour. Voilà pourquoi nous passons le premier de ces deux

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temps dans le jeûne et la prière, tandis que le second est consacré aux cantiques de joie ; et, pendant sa durée, le jeûne est suspendu. »

L'Eglise, interprète des saintes Ecritures, nous signale deux lieux différents qui sont en rapport direct avec les deux temps dont parle saint Augustin : ces deux lieux sont Babylone et Jérusalem. Babylone est le symbole de ce monde de péché, au milieu duquel le chrétien doit passer le temps de l'épreuve ; Jérusalem est la patrie céleste au sein de laquelle il se reposera de tous ses combats. Le peuple d'Israël, dont toute l'histoire n'est qu'une grande figure de l'humanité, fut littéralement exilé de Jérusalem et retenu captif à Babylone.

Or, cette captivité loin de Sion dura soixante-dix ans ; et c'est pour exprimer ce mystère que, selon Alcuin, Amalaire, Yves de Chartres, et généralement tous les princes de la Liturgie, l'Eglise a définitivement fixé le nombre septuagénaire pour les jours de l'expiation, prenant, selon l'usage des saintes Ecritures, le nombre ébauché pour le nombre parfait.

La durée du monde lui-même, comme portent les antiques traditions chrétiennes, se partage aussi selon le septénaire. La race humaine doit traverser sept âges, avant le lever du jour de la vie éternelle. Le premier âge s'est étendu depuis la création d'Adam jusqu'à Noé ; le second depuis Noé et le renouvellement qui suit le déluge jusqu'à la vocation d'Abraham; le troisième commence à cette première ébauche du peuple de Dieu, et va jusqu'à Moïse par les mains duquel le Seigneur donna la loi ; le quatrième s'étend de Moïse à David, en qui la royauté commence dans la maison de Juda ; le cinquième embrasse la série des siècles

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puis le règne de David jusqu'à la captivité des Juifs à Babylone ; le sixième est la période qui s'écoula depuis le retour de la captivité jusqu'à la naissance de Jésus-Christ. Vient enfin le septième âge, qui s'est ouvert à l'apparition miséricordieuse du Soleil de justice, et doit durer jusqu'à l'avènement redoutable du Juge des vivants et des morts. Telles sont les sept grandes fractions des temps, après lesquelles il n'y a plus que l'éternité.

Pour encourager nos cœurs, au milieu des combats dont la route est semée, l'Eglise, qui luit comme un flambeau au milieu des ombres de ce séjour terrestre, nous montre un autre septénaire qui doit faire suite à celui que nous allons traverser. Après la Septuagésime de tristesse, la radieuse Pâque viendra avec ses sept semaines d'allégresse nous apporter un avant-goût des consolations et des délices du ciel. Après avoir jeûné avec le Christ et compati à ses souffrances, le jour viendra où nous ressusciterons avec lui, où nos cœurs le suivront au plus haut des cieux ; et, peu après, nous sentirons descendre en nous l'Esprit divin avec ses sept dons. Or, ainsi que le remarquent les mystiques interprètes des rites de l'Eglise, la célébration de tant de merveilles ne nous demandera pas moins de sept semaines entières, de Pâques à la Pentecôte.

Après avoir jeté un regard d'espérance sur cet avenir consolateur qui nous attend, et qui pourtant n'est que la figure de cet autre avenir que le Seigneur nous prépare dans les splendeurs de son éternité, il nous faut revenir aux réalités présentes. Que sommes-nous ici-bas? exilés, captifs, en proie à tous les périls que Babylone recèle. Si nous aimons la patrie, si nous avons à cœur de la revoir, nous devons rompre avec les faux attraits

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de cette perfide étrangère, et repousser loin de nous la coupe dont elle enivre un grand nombre de nos frères de captivité. Elle nous convie à ses jeux et à ses ris ; mais nos harpes doivent demeurer suspendues aux saules des rives de son fleuve maudit, jusqu'au signal qui nous sera donné de rentrer dans Jérusalem (1). Elle voudrait nous engager à faire du moins entendre les chants de Sion dans sa profane enceinte, comme si notre cœur pouvait être à l'aise loin de la patrie, et quand nous savons qu'un exil éternel peut être la peine de notre infidélité ; mais comment pourrions-nous chanter les cantiques du Seigneur dans une terre étrangère (2) ? »

Tels sont les sentiments que la sainte Eglise cherche à nous inspirer durant ces longs jours de deuil, en appelant notre attention sur les dangers qui nous environnent, et au dedans de nous-mêmes et de la part des créatures. Dans tout le reste de l'année, elle nous provoque à répéter le chant du ciel, le divin Alleluia ! et voilà qu'aujourd'hui elle met la main sur notre bouche pour arrêter ce cri d'allégresse qui ne doit pas retentir dans Babylone. « Nous sommes en voyage, loin du Seigneur (3) » ; gardons nos cantiques pour le moment où nous arriverons près de lui. Nous sommes pécheurs, et trop souvent complices des profanes qui nous environnent ; purifions-nous par le repentir ; car il est écrit que « la louange du Seigneur perd toute sa beauté dans la bouche du pécheur (4). »

Le trait le plus caractéristique de la sainte carrière où nous entrons est donc la suspension

1. Psalm. CXXV. — 2. Psalm. CXXXVI. — 3. II Cor. V, 6. — 4. Eccli. XV, 9.

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rigoureuse de l’Alleluia, qui ne doit plus se faire entendre sur la terre jusqu'au moment où, ayant participé à la mort du Christ, ayant été ensevelis avec lui, nous ressusciterons avec lui pour une vie nouvelle (1).

Le beau cantique des Anges, Gloire à Dieu au plus haut des cieux, que nous avons fait retentir chaque dimanche, depuis la naissance du Rédempteur, nous est enlevé en même temps ; il ne nous sera permis de le répéter que les jours où l'on célébrera sur la semaine quelque fête en l'honneur des Saints. L'Office de la nuit, le Dimanche, va perdre aussi jusqu'à la Pâque son magnifique Hymne Ambrosien, Te Deum laudamus. Lorsque le Sacrifice sera achevé, le diacre ne congédiera plus l'assemblée des fidèles par ces solennelles paroles : Ite, Missa est ; il invitera seulement le peuple chrétien à continuer sa prière dans le silence, en bénissant le Dieu de miséricorde, qui a daigné ne pas nous rejeter malgré nos iniquités.

Après le Graduel de la Messe, à l'endroit où l’Alleluia, trois fois répété, préparait nos cœurs à s'ouvrir pour écouter la voix du Seigneur lui-même, dans la lecture de son saint Evangile, nous entendrons l'expressive mélodie du Trait, qui rendra les sentiments de repentir, d'instante supplication, d'humble confiance, qui doivent être les nôtres en ces jours.

Afin que nos yeux aussi soient avertis que la période où nous entrons est un temps de deuil et de tristesse, la sainte Eglise revêtira, le Dimanche et les jours où elle n'aura pas à fêter quelque Saint, la sombre couleur violette. Elle laisse cependant

1. Coloss. II, 12.

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encore, jusqu'au Mercredi des Cendres, le diacre se parer de la dalmatique et le sous-diacre de la tunique ; mais, à partir de ce jour, ils devront déposer ces vêtements de joie, en attendant que l'austère Quarantaine, qui doit s'ouvrir alors, inspire à la sainte Eglise d'exprimer de plus en plus ses tristesses, par la suppression de tout ce qui ressentirait encore en quelque chose la pompe dont elle aimait, en d'autres temps, à environner les autels du Dieu qu'elle adore.

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SEPTUAGESIME
CHAPITRE I
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRES IV-VIII
PROPRE DU TEMPS
V° DIMANCHE EPIPHANIE
VI° DIMANCHE EPIPHANIE
SUSPENSION ALLELUIA
DIMANCHE
LUNDI
MARDI
MERCREDI
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
DIMANCHE SEXAGESIME
LUNDI
LE MARDI
MERCREDI
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
QUINQUAGÉSIME
LUNDI
MARDI
MERCREDI CENDRES
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
PROPRE DES SAINTS


CHAPITRE III. PRATIQUE DU TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME.

Les joies du temps de Noël semblent avoir fui loin de nous. A peine avons-nous pu jouir quarante jours de l'allégresse que nous avait apportée la naissance de l'Emmanuel, et déjà le ciel de la sainte Eglise s'est assombri, et on nous annonce que bientôt il apparaîtra couvert de teintes plus lugubres encore. Avons-nous donc perdu pour jamais celui que nous attendîmes avec tant d'anxiétés et d'espérances durant les semaines mélancoliques de l'Avent ; et celui qui se montra enfin à nous comme le Soleil de justice, a-t-il donc détourné sa course, pour la diriger loin d'une terre coupable?

Rassurons-nous. Le Fils de Dieu, le fils de Marie, ne nous a point quittés. Le Verbe s'est fait chair, et c'est afin d'habiter parmi nous. Une gloire plus grande encore que celle de sa naissance au milieu des concerts angéliques, lui est réservée, et nous devons la partager avec lui. Mais cette gloire, il doit l'acheter au prix de mille souffrances : il ne l'obtiendra que par la plus cruelle et la plus ignominieuse des morts; et, si nous voulons avoir part au triomphe de sa Résurrection, il nous faut le suivre dans la voie douloureuse qu'il arrose de ses larmes et qu'il teint de son sang.

Bientôt la voix sévère et maternelle de l'Eglise se fera entendre pour nous convier à la pénitence

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quadragésimaie ; mais, auparavant, dans le cours rapide des trois semaines de préparation à ce laborieux baptême, elle veut que nous nous arrêtions à sonder la profondeur des plaies que le péché a faites à nos âmes. Rien n'égale, sans doute, les charmes et la douceur de l'Enfant qui nous est né ; mais les leçons d'humilité et de simplicité qu'il nous a données ne suffisent plus aux besoins de nos âmes. Cette victime de la plus redoutable justice a crû rapidement ; déjà l'autel sur lequel on l'immolera se dresse ; et comme c'est pour nous qu'elle y doit expirer, le temps presse de nous demander compte à nous-mêmes des obligations que nous avons contractées envers cette justice qui s'apprête à sacrifier l'innocent à la place des coupables.

Le mystère d'un Dieu qui daigne s'incarner pour les hommes a ouvert pour nous les sentiers de la Vie illuminative ; mais nos yeux sont appelés à contempler une lumière plus vive encore. Que notre cœur ne se trouble pas ; les divines merveilles de Bethléhem seront dépassées au jour de la victoire de l'Emmanuel ; mais notre œil, s'il veut contempler ces merveilles, a besoin de s'épurer, en plongeant sans faiblesse son regard jusqu'au fond de l'abîme de nos misères. La lumière de Dieu ne nous sera pas refusée pour accomplir cette œuvre de justice ; et si nous parvenons à nous connaître nous-mêmes, à nous rendre compte de la profondeur de la chute originelle, à apprécier la malice de nos fautes personnelles, à comprendre, du moins en quelque degré, l'immense miséricorde du Seigneur envers nous, c'est alors que nous serons préparés aux salutaires expiations qui nous attendent, aux joies ineffables qui doivent les suivre.

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Le temps où nous entrons est donc consacré aux plus graves pensées, et nous ne saurions mieux exprimer les sentiments que l'Eglise attend du chrétien dans cette partie de l'année, qu'en traduisant ici quelques traits de l'éloquente exhortation que, dans le XI° siècle, le grand Yves de Chartres adressait à son peuple, à l'ouverture de la Septuagésime. « L'Apôtre l'a dit : « Toute créature gémit, et elle est dans les douleurs de l’enfantement. Nous-mêmes, qui avons les prémices de l'Esprit, nous gémissons aussi, attendant l’adoption des enfants et le rachat de notre corps (1). Cette créature qui gémit, c'est l'âme retirée de la corruption du péché, et qui, déplorant son sort d'être assujettie encore à tant de vanités, souffre les douleurs de l'enfantement, aussi longtemps qu'elle est éloignée de la patrie. C'est le cri du Psalmiste : Hélas ! pourquoi mon exil se prolonge-t-il (2) ? L'Apôtre lui-même, qui avait reçu l'Esprit-Saint, étant l'un des premiers membres de l'Eglise, dans son anxiété de recevoir en effet l'adoption des enfants que déjà il possédait en espérance, disait : Je voudrais mourir et être avec Jésus-Christ (3). Nous devons donc durant ces jours, plus encore qu'en tout autre temps, nous livrer aux gémissements et aux larmes, pour mériter, par l'amertume et les lamentations de notre cœur, de retourner dans cette patrie dont nous exilèrent ces joies qui donnent la mort. Pleurons donc durant le voyage pour nous réjouir au terme ; parcourons l'arène de la vie présente, de manière à saisir au bout le prix de l'appel céleste. Ne soyons pas ces voyageurs insensés qui oublient leur patrie,

1. Rom. VIII, 22. — 2. Psalm. CXIX. — 3. Philip, I, 23.

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s'attachent au lieu de l'exil et restent en route. Ne soyons pas ces malades insensibles qui ne savent pas chercher le remède à leurs maux. On désespère de la vie de celui qui n'a pas conscience de son mal. Courons au médecin du salut éternel. Découvrons-lui nos blessures ; faisons-lui entendre ce cri intime : Ayez pitié de moi, Seigneur, car je suis infirme : guérissez-moi, Seigneur, car tous mes os sont ébranlés (1). C'est alors que notre médecin nous pardonnera nos iniquités, qu’il guérira toutes nos langueurs, qu'il comblera tous nos désirs pour le bien. »

Comme on le voit, le chrétien au temps de la Septuagésime, s'il veut entrer dans l'esprit de l'Eglise, doit faire trêve à cette fausse sécurité, à ce contentement de soi qui s'établissent trop souvent au fond des âmes molles et tièdes, et n'y produisent que la stérilité. Heureux encore lorsque ces dispositions n'amènent pas insensiblement l'extinction du véritable sens chrétien ! Celui qui se croit dispensé de cette vigilance continuelle tant recommandée par le Sauveur (2), est déjà sous la main de l'ennemi ; celui qui ne sent le besoin d'aucun combat, d'aucune lutte pour se maintenir et pour cheminer dans le bien, à moins d'avoir été honoré d'un privilège aussi rare que dangereux, doit craindre de ne pas être dans la voie de ce royaume de Dieu qui ne s'enlève que de vive force (3) ; celui qui oublie les péchés que la miséricorde de Dieu lui a pardonnes, doit redouter d'être le jouet d'une illusion périlleuse (4). Rendons gloire à Dieu dans ces jours que nous allons consacrer à la courageuse contemplation de nos misères,

1. Psalm. VI. — 2. Marc, XIII, 37. — 3. Matth. XI, 12. — 4. Eccli. V, 5.

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et venons puiser, dans la connaissance de nous-mêmes, des motifs nouveaux d'espérer en celui que nos faiblesses et nos fautes n'ont point empêché de s'abaisser jusqu'à nous, pour nous relever jusqu'à lui.

CHAPITRE IV. PRIÈRES DU MATIN ET DU SOIR, AU TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME .

Ce Chapitre et les suivants ne sont pas numérisés. On pourra se reporter au Temps du Carême.

Au temps de la Septuagésime, le chrétien, à son réveil, s'unira à la sainte Eglise qui, dès le point du jour, commence la psalmodie des Laudes par ces paroles du Roi-Prophète :

Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam.

Ayez pitié de moi, ô Dieu, selon votre grande miséricorde.

Il adorera profondément cette Majesté que le pécheur devrait craindre, et qu'il offense cependant avec tant d'audace et d'ingratitude, et il accomplira sous cette impression les premiers actes intérieurs et extérieurs de religion qui doivent ouvrir sa journée. Le moment étant venu de faire la Prière du Matin, il pourra puiser en cette manière, dans les prières de l'Eglise elle-même, la forme de ses sentiments.

CHAPITRE V. DE L'ASSISTANCE A LA SAINTE MESSE, AU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.

Le chrétien, dans les jours de la Septuagésime, s'il sait entrer dans l'esprit de l'Eglise, voit croître en lui ce sentiment de la crainte de Dieu qui, selon le Psalmiste, est « le commencement de la sagesse » . La vue de sa misère originelle, le souvenir de ses péchés, l'attente des jugements de Dieu, l'arrachent à la mollesse dans laquelle il a trop longtemps vécu. Il lui faut donc un refuge, un secours puissant et salutaire qui ranime en son cœur cette espérance chrétienne, sans laquelle il ne peut être enfant de Dieu. Il lui faut plus encore: il a besoin d'une Victime de propitiation qui apaise en sa faveur la colère céleste, d'un Sacrifice au moyen duquel il puisse désarmer ce bras redoutable qu'il sent levé contre ses iniquités.

Cette Victime est prête, ce Sacrifice d'un mérite infini est mis à notre disposition. L'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde est encore sur cette terre. Sa naissance nous a comblés de bonheur ; les joies que nous avons goûtées près de son berceau, et qui tout à coup 0nt fait place à d'austères pensées, renaîtront plus vives au jour de son triomphe ; mais en attendant ce jour fortuné qui nous ramènera près de lui purifiés et animés d'une nouvelle vie, nous pouvons toujours compter sur ses mérites pour opérer la régénération

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de nos âmes. Lors donc que nous voulons présenter à Dieu le sacrifice de notre cœur contrit et humilié, si nous voulons le rendre plus acceptable, approchons-nous de l'autel, et supplions la Victime qui s'y offre pour nous, de joindre ses mérites infinis à nos faibles œuvres. Quand nous sortirons de la maison de Dieu, le poids de nos péchés sera déjà grandement allégé, la confiance en la divine miséricorde aura pris un nouvel accroissement ; et, renouvelé par la componction, l'amour s'élèvera vers Dieu plus fort et plus sincère.

Nous allons maintenant essayer de réduire à la pratique ces sentiments, dans une explication des Mystères de la sainte Messe, nous efforçant d'initier les fidèles à ces divins secrets, non par une stérile et téméraire traduction des formules sacrées, mais au moyen d'Actes destinés à mettre les assistants en rapport suffisant avec les paroles et les sentiments de l'Eglise et du Prêtre.

Aux trois dimanches de Septuagésime, de Sexa-gésime et de Quinquagésime, la Messe est toujours célébrée selon le rite sévère du temps où nous sommes. Ces dimanches ne céderaient la place qu'au Patron ou à la Dédicace de l'Eglise dans laquelle on célèbre. La prérogative du Mercredi des Cendres est plus inviolable encore : la Messe de cette Férie n'est jamais omise. Hors ces quatre jours, il se rencontre, dans le temps de la Septuagésime, un nombre considérable de Fêtes en l'honneur des Saints. L'Eglise alors dépose ses coftleursde deuil, et célèbre le saint Sacrifice à la mémoire de ces amis de Dieu.

Le Dimanche, si la Messe à laquelle on assiste est paroissiale, deux rites solennels, l'Aspersion de l'eau bénite, et, en beaucoup d'églises, la Procession, devront d'abord intéresser la piété.

CHAPITRE VI. PRATIQUE DE LA SAINTE COMMUNION, AU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.

Nous l'avons dit précédemment, le chrétien auquel les fortes impressions du Temps de la Septuagésime ont révélé plus clairement sa misère originelle et la malice de ses propres fautes, doit s'empresser d'autant plus ardemment d'assister au divin Sacrifice dans lequel est offerte l'Hostie du salut. Mais devra-t-il, parce qu'il s'en reconnaît plus indigne que jamais, s'abstenir de participer à la chair vivifiante et purifiante de cette victime universelle ? Telle n'est pas l'intention du Rédempteur, qui est descendu du ciel, non pour nous juger, mais pour nous sauver (1). Il sait combien est longue et austère la voie qu'il nous reste à parcourir jusqu'au jour où nous nous reposerons avec lui dans les joies de sa Résurrection. Il a pitié de nous ; il craint de nous voir défaillir dans la route (2) ; et, pour cela, il nous offre l'aliment divin qui donne aux âmes lumière et force, et qui les soutient dans le labeur. Nous sentons le besoin de nous purifier davantage ; allons donc, d'un cœur humble et contrit, à celui qui est venu pour rendre à nos âmes leur beauté première. En même temps, souvenons-nous de cet avertissement solennel qu'il a daigné nous donner : « Si vous ne mangez la chair du

1. JOHAN. III, 17. — 2 MATTH. XV, 32.

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Fils de l'homme, vous n'aurez point la vie en vous (1). »

Si donc le péché ne règne plus en nous, si nous l'avons effacé par une vraie contrition et une confession sincère, rendues efficaces par l'absolution du Prêtre, quelque grandes que nous apparaissent nos infirmités, ne nous éloignons pas du Pain de Vie (2); car c'est pour nous que la table du Seigneur est dressée. Si nous sentons que les liens du péché nous captivent encore ; si, en réfléchissant sur nous-mêmes, au flambeau de la Vérité qui luit maintenant à nos yeux, nous découvrons dans nos âmes des taches que les préjugés mondains et une dangereuse mollesse nous avaient jusqu'ici empêché d'apercevoir, cherchons promptement la piscine du salut, et quand nous aurons fait notre paix avec le Dieu des miséricordes, hâtons-nous de venir recevoir le gage de notre réconciliation.

Allons donc à la table sainte, en ces jours de la Septuagésime, avec le sentiment profond de notre indignité. Plus d'une fois peut-être nous y sommes-nous présentés, dans le passé, avec une familiarité trop grande, faute de comprendre assez notre néant, notre misère et la souveraine sainteté de celui qui s'unit ainsi à l'homme pécheur. Désormais, notre cœur se rendra plus de justice, et, réunissant dans un même sentiment l'humilité et la confiance, il répétera avec une entière sincérité ces paroles que l'Eglise emprunte au Centurion de l'Evangile, et qu'elle nous invite à redire au moment où elle nous donne le Pain de Vie : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi ; mais dites seulement une parole, et mon âme sera guérie »

1. JOHAN vi, 54 — 2. Ibid. 35.

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Nous formulerons ici, selon notre usage, les Actes pour la préparation à la sainte Communion dans ce saint temps, à l'usage des personnes qui sentiraient le besoin d'être aidées en cette manière, et nous ajouterons, pour complément, les Actes de l'Action de grâces.

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CHAPITRE VII. DE L'OFFICE DES VEPRES DES DIMANCHES ET DES FETES, AU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.

Les Vêpres, ou Office du soir, se composent d'abord de cinq Psaumes accompagnés d'Antiennes. Nous les donnons ci-après, en les faisant précéder, selon notre usage, de quelques lignes dans lesquelles nous nous attachons à relever les expressions de ces divins Cantiques, qui se rapportent plus directement au temps de l'Année liturgique que nous parcourons.

CHAPITRE VIII. DE L'OFFICE DE COMPLIES, AU TEMPS DE LA SEPTUAGESIME.

Cet Office, qui est la conclusion de tous ceux de la journée, s'ouvre par un avertissement sur les périls de la nuit, lequel est bientôt suivi de la Confession générale des péchés, comme un moyen de se rendre favorable la justice divine, avant d'aller courir les hasards du sommeil, si voisin de la mort.

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ANTIENNE A LA SAINTE VIERGE.

Ave Regina coelorum,

Ave Domina Angelorum :

Salve Radix, salve Porta,

Ex qua mundo lux est orta :

Gaude, Virgo gloriosa,

Super omnes speciosa :

Vale, o valde decora.

Et pro nobis Christum exora.

V/. Dignare me laudare te, Virgo sacrata.

R/. Da mihi virtutem contra hostes tuos.

Salut, Reine des Cieux !

Salut, Souveraine des Anges !

Salut, Tige féconde !

Salut, Porte du ciel, par laquelle la lumière s'est levée sur le monde! Jouissez de vos honneurs, ô Vierge glorieuse, qui l'emportez sur toutes en beauté!

Adieu, ô toute belle, et implorez le Christ en notre faveur.

V/. Souffrez , ô Vierge sainte, que je célèbre vos louanges.

R/. Donnez-moi le courage contre vos ennemis.

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ORAISON.

Daignez, ô Dieu de miséricorde , venir au secours de notre fragilité , afin que nous , qui célébrons la mémoire de la sainte Mère de Dieu, nous puissions, à l'aide de son intercession, nous affranchir des liens de nos iniquités. Par le même Jésus-Christ, notre Seigneur. Amen.

V/. Que le secours divin demeure toujours avec nous.

R/. Amen.

fonte:http://www.abbaye-saint-benoit.ch/gueranger/anneliturgique/septuagesime/