quinta-feira, 9 de janeiro de 2014

Benoît XVI: Nous nous trouvons face à une profonde crise de la foi, à une perte du sens religieux qui constitue le plus grand défi pour l’Eglise d’aujourd’hui .

Les nouveaux modernistes

publié dans nouvelles de chrétienté le 8 janvier 2014



Lu dans Correspondance européenne , n° 277 du 20 décembre 2013

Procès contre les nouveaux modernistes

Les réactions publiées dans les colonnes du quotidien “il Foglio” par S.Exc. Mgr Luigi Negri, par le Père Francesco Ventorino et par le Pr. Massimo Borghesi, à mon article sur La vérité est la mesure de l’amour chrétien (CE 276, 30 novembre 2013) m’imposent de revenir sur une question de fonds du débat contemporain, celle concernant la définition de la foi, indubitable fondement de la vie chrétienne.
Le fait dont je pars, et à propos duquel j’espère que mes interlocuteurs seront d’accord, est l’écroulement de la foi, qui s’est vérifié au sein de l’Eglise au cours de ces cinquante dernières années. Inaugurant l’Année de la Foi, le 27 janvier 2012, Benoît XVI s’exprimait en ces termes : « Comme nous le savons, dans de vastes zones de la terre, la foi court le risque de s’éteindre comme une flamme qui ne trouve plus à s’alimenter. Nous nous trouvons face à une profonde crise de la foi, à une perte du sens religieux qui constitue le plus grand défi pour l’Eglise d’aujourd’hui ». Mais l’Année de la Foi s’est clôturée – il faut le dire – sans que s’entrevoit de quelque manière une réponse forte à la crise en cours de la part des autorités ecclésiastiques.
L’Encyclique Lumen Fidei elle-même ignore de manière surprenante ce dramatique problème. Mais qu’est-ce la foi ? La réponse à cette question n’admet pas d’équivoques, après la définition posée par le Concile Vatican I, reprise par le nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique : la foi est l’adhésion de la raison, mue par la grâce, aux vérités révélées par Dieu, à cause de l’autorité même de Dieu qui nous les révèle. Les vérités révélées sont dites telles parce qu’elles sont contenues, de manière explicite ou implicite, dans la révélation divine, qui s’est conclue à la mort du dernier Apôtre.
L’Ecriture Sainte et la Tradition recueillent ces vérités qui forment la foi objective et immuable de l’Eglise. Dans certains cas, de telles vérités dépassent notre raison et sont qualifiées de mystères. Les deux mystères centraux du Christianisme sont la Trinité et l’Incarnation du Verbe. Ils sont supérieurs à notre raison mais ne s’y opposent pas. Nous croyons à ces vérités parce qu’elles nous ont été révélées par Dieu. Mais l’existence de Dieu, avant d’être une vérité de foi, est une vérité philosophique, qui peut être démontrée par la raison, comme peut l’être également l’existence et l’immortalité de l’âme.
La foi intéresse non seulement la théologie mais également la philosophie, comme le montre bien Antonio Livi (cf. par exemple son ouvrage sur Razionalità della fede nella rivelazione, Leonardo, Rome 2005). L’inconnaissance de la nature de Dieu ne doit pas être confondue avec la certitude rationnelle de son existence. C’est seulement après avoir établi que Dieu existe que nous pouvons croire en Lui et en sa révélation. C’est pourquoi saint Augustin déclare que nous devons « Credere Deum, Deo, in Deum », c’est-à-dire croire Dieu comme objet de la foi, croire à Dieu comme motif de la foi et croire en Dieu comme sa fin.
Luther fut le premier à fausser le concept traditionnel de foi. L’homme, intégralement corrompu par le péché originel, est en soi incapable de connaître le vrai et d’aimer le bien. La foi ne consiste pas dans la raison et dans la volonté, putréfiées par le péché, mais dans la « foi fiducielle » qui naît d’un sentiment de profond désespoir et a son propre objet dans la miséricorde de Dieu et non plus dans les vérités qu’Il a révélé. Faisant appel à cette vision piétiste et individualiste de la foi, Luther et ses continuateurs, font de l’expérience religieuse le seul critère de la vie chrétienne.
Dans toute la tradition évangélique protestante, la religion est vue comme une « rencontre » salvifique avec Dieu, au sein de laquelle la foi subjective absorbe et dissout la foi objective. Dans l’Esquisse d’une philosophie de la religion (1897) d’Auguste Sabatier (1839-1901) la réduction protestante de la foi à un sentiment arrive à son accomplissement. L’acte de foi est entendu comme une rencontre avec la puissance, obscure et mystérieuse, dont l’âme dépend et dont dépend son destin. Tout ce qui est dogme et réflexion théologique n’est autre que la transcription symbolique d’une expérience religieuse collective en continuelle évolution.
Au cours de ces mêmes années où apparaît l’œuvre de Sabatier, Maurice Blondel (1861-1949) publie l’Action (1893), première expression de cette philosophie de l’action qui, avec le protestantisme libéral, constitue les bases arrières immédiates du modernisme. Selon Blondel, l’action, et non pas la pensée, puise la vérité de l’être. La maxime traditionnelle selon laquelle « agere sequitur esse » est renversée : l’action précède l’être et l’homme trouve la vérité et la foi même dans l’action. L’action est la synthèse du penser et de l’agir, le lien entre la pensée et l’être. Blondel veut donc remplacer l’apologétique traditionnelle, qui se propose de démontrer de manière rationnelle les vérités du Christianisme, par une nouvelle apologétique, fondée sur le principe d’immanence. La méthode de l’immanence prétend trouver la vérité de la religion et des mystères de la foi en partant de la conscience de l’homme, de ses besoins, de ses aspirations et de tout ce qui provient de son expérience de vie.
Des thèses analogues avaient été exprimées par le théologien du modernisme, George Tyrrell (1861-1909), qui, après s’être converti au catholicisme à partir du protestantisme entra dans la Compagnie de Jésus mais en contesta bien vite l’enseignement. Pour Tyrrell également, la religion est une union du cœur avec Dieu qui se passe de la vérité des dogmes. Le Dieu de Tyrrell, comme celui de Blondel, est immanent à la conscience, qui le reconnaît dans sa propre expérience religieuse. Ce n’est pas la vérité qui détermine l’expérience mais l’expérience qui constitue le critère suprême de la vérité. Le « trait d’union » entre Blondel et Tyrrell fut Henri Brémond (1865-1930), lui aussi jésuite, tolérant mal la discipline et l’enseignement de la Compagnie. La correspondance entre Brémond et Tyrrell est instructive à ce propos (Lettres de George Tyrrell à Henri Brémond, Aubier, Paris 1971).
Brémond, en proie à des crises de névrosthénie, confiait à Tyrrell vouloir quitter les jésuites pour vivre, comme Tyrrell, avec une maîtresse. Son idéal – écrivait-il – aurait été celui d’une « vie cléricale adogmatique ». Tyrrell répond à son confrère d’être prudent et d’abandonner la Compagnie sans précipiter les choses. Lorsque Tyrrell mourra, quelques années plus tard, après avoir été excommunié par Saint Pie X, Brémond sera à son chevet et, suivant ses conseils, vivra ensuite dans le monde comme un simple prêtre crypto-moderniste, entreprenant une carrière littéraire qui le portera à l’Académie française. Son Histoire littéraire du sentiment religieux en France (1915-1933, 11 volumes) résume déjà dans son titre les thèses de ses amis, Blondel et Tyrrell : la foi réduite à une intuition poétique, à une expérience de vie mystique qui rend vaine toute vérité dogmatique.
Parmi les directs continuateurs de cette ligne d’immanence vitale, se trouva le Père Henri de Lubac (1896-1991), lui aussi, comme Brémond et Tyrrell, membre de la Compagnie de Jésus mais qui, à la différence des deux autres, demeura jésuite jusqu’au dernier jour de sa vie. De Lubac, comme Blondel, pose dans la conscience de l’homme la possibilité de rencontrer Dieu par ses propres forces, détruisant la distinction fondamentale entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel. S. Em. le Cardinal Siri, dans son ouvrage Getsemani. Riflessioni sul Movimento Teologico Contemporaneo (Fraternità della Santissima Vergine, Rome 1980), a amplement réfuté ces erreurs théologiques. Le Vénérable Pape Pie XII, dans son encyclique Humani generis (1950), condamna les thèses de Lubac et des autres représentants de la nouvelle théologie progressiste. Mais après sa mort, ces derniers furent les protagonistes du Concile Vatican II, auquel ils donnèrent l’orientation de fonds. De Lubac fut même créé Cardinal par Jean Paul II et se trouve aujourd’hui fréquemment cité par le Pape François, même si peu nombreux sont ceux qui ont lu ses œuvres, cryptiques et prolixes.
Au cours des années qui suivirent le Concile, de Lubac appartint à l’aile « modérée » de la nouvelle théologie progressiste. Mais sa modération, plus que sur le contenu, portait sur le ton employé. Il suffit de comparer son journal du Concile Vatican II à celui du Père Yves Congar, OP, pour se rendre compte de la différence entre son langage mesuré et le langage violent et souvent vulgaire de Congar. Ceci n’empêcha pas De Lubac d’être un admirateur enthousiaste et un divulgateur des œuvres de son confrère Pierre Teilhard de Chardin, l’une des figures extrêmes de l’hétérodoxie catholique du XX° siècle, envers lequel Blondel lui-même avait manifesté des réserves.
De Lubac appartenait à cette catégorie d’hommes qui détestent les conséquences de leurs propres idées. Il critiqua la dissolution post-conciliaire mais ne voulut pas admettre que les racines de ce qui arrivait se trouvaient justement dans les erreurs de la nouvelle théologie. En 1972, il fut parmi les promoteurs de la revue “Communio” et Mgr Luigi Giussani, qui, au cours de ces mêmes années, lançait Communion et Libération, le reconnut comme son maître. Les disciples de Mgr Giussani protestent lorsque je lui attribue une notion de foi équivoque et Rosso Malpelo (pseudonyme de Gianni Gennari), m’accuse dans les colonnes de l’“Avvenire” (quotidien de la Conférence épiscopale italienne NDT) de dire « des mensonges » mais la vérité est remise à l’histoire.
J’invite à lire le livre de Mgr Giussani intitulé Un avvenimento di vita cioè una storia. Itinerario di quindici anni concepiti e vissuti, précédé d’une introduction du Cardinal Ratzinger (Il Sabato, Milan 1993). Le volume recueille les entretiens et les notes de conversations publiques que le fondateur de CL a tenu entre 1976 et 1992. Le livre ne contient aucune négation explicite des vérités de foi et veut même manifester l’attachement à l’Eglise de l’abbé Giussani. Mais, à la fin des 500 pages, on demeure avec une sensation de vide intellectuel. Au lecteur, il ne reste que ce message : ni l’apologétique ni l’approfondissement rationnel de la vérité ne sont nécessaires. Ce qui compte est de vivre. Mais quoi vivre ? Il s’agit, explique Mgr Giussani, de « rendre la foi un événement » (p. 339). Communion et Libération naît d’une « intuition du christianisme comme événement de vie et donc comme histoire » (p. 349). « La méthode consiste en ceci : que l’intuition devienne expérience (…). L’expérience est le lieu où l’on voit si ce dont on a eu l’intuition a valeur pour la vie » (p. 351). La foi est rencontrer le Christ, reconnaître Sa présence dans l’histoire et dans sa propre vie. Mais qui est le Christ ? La réponse de CL est décourageante : Celui que l’on rencontre. Le problème de fonds est que, en dehors de la tautologie de la rencontre, CL n’est pas allé et ne pourra jamais aller à cause de sa prétention à réduire le Christianisme à une pure expérience et à un besoin de l’esprit.
Certes, le Christianisme est également une expérience mais l’expérience est par elle-même incommunicable alors que ce qui peut se communiquer sont les principes qui précèdent l’expérience et dont cette dernière dépend. Personne ne remet en cause l’existence de l’expérience religieuse qui, sous certains aspects, est la forme la plus élevée de la vie chrétienne. L’expérience est en effet une connaissance immédiate et directe de la réalité. Mais l’expérience religieuse non seulement ne nie pas la crédibilité rationnelle de la foi mais la présuppose. Dans la perspective de CL en revanche l’apologétique disparaît et il appartient à la vie, et non plus à la rationalité des motifs, d’apporter la démonstration de l’existence de Dieu et de la vérité de l’Eglise. L’expérience religieuse cependant a une valeur seulement si elle est soumise à la raison, à la révélation et au magistère.
Aujourd’hui, la vraie notion de foi s’est perdue parce qu’elle est réduite à un sentiment du cœur, oubliant qu’elle constitue un acte rationnel qui a comme objet la vérité. L’intelligence est la seule faculté spirituelle qui peut faire propres les vérités proposées par la révélation. Pour les modernistes d’aujourd’hui, comme pour les protestants d’autrefois, la foi appartient à la sphère affective et irrationnelle. L’objet de la foi, les vérités crues, deviennent secondaires. Le réalisme gréco-chrétien est rejeté en bloc, niant la valeur du Logos, des principes premiers de la raison et du primat de la métaphysique Ce qui compte est l’expérience individuelle du croyant, ce qu’il vit dans sa sensibilité.
L’expérience intime du sujet devient la seule expérience de la vie chrétienne et la conscience religieuse l’essence de la vie de la Grâce. Cette « expérience de foi » a horreur des affirmations dogmatiques, convaincue que ce qui est absolu divise et que seul ce qui change et s’adapte peut unir les hommes entre eux et à Dieu. Dans cette religion de l’humanité caractéristique de notre époque, la nette affirmation de la vérité est un acte d’intolérance envers le prochain et le compromis entre la foi et le monde devient le modèle de ce qui est qualifié de « rencontre » avec Dieu. La foi n’est cependant pas irénique. Elle s’alimente au travers de l’étude, de la discussion et également de la polémique. Lorsque l’on discute avec passion, cela veut dire que l’on croit et la vigueur de la polémique constitue parfois la mesure de l’amour envers ce que l’on croit. Mais à l’intérieur du clergé lui-même qui croit aujourd’hui et en quoi ?
Pour que l’expérience religieuse soit vraie et ne constitue pas une illusion, il faut en revanche un critère de vérité. Le problème de fonds est la manière dont déterminer l’authenticité de l’expérience. L’expérience religieuse peut être seulement une expérience du vrai Dieu et de la vraie religion. Il ne s’agit pas d’un sentiment générique de dépendance par rapport à l’absolu. Un bouddhiste immergé dans le nirvana fait-il une expérience religieuse ? De Lubac pense que oui et peut-être également certains disciples de l’abbé Giussani.
Toute erreur a des conséquences. Le manque de sensibilité liturgique de Communion et Libération n’est pas un hasard. La maxime de l’Eglise selon laquelle la lex orandi traduit la lex credendi présuppose l’existence d’une doctrine intègre et cohérente dont la liturgie est une expression visible. Mais si la doctrine est absorbée par la vie, la liturgie ne peut qu’être condamnée à l’extinction. L’amour de la liturgie traditionnelle présuppose nécessairement l’amour des vérités traditionnelles. Et le « traditionalisme » honni n’est autre que cela : l’amour de la vérité de l’Eglise dans toutes ses expressions, de celles relatives à la liturgie à celles concernant la politique et le social. Les « traditionalistes », qui sont seulement des catholiques sans compromis, se réfèrent à l’enseignement immuable de l’Eglise.
Ils n’idolâtrent pas le pouvoir mais croient à la Royauté sociale de Jésus Christ, c’est-à-dire à son droit de régner sur tout homme et sur la société entière. « L’expérience religieuse » à laquelle ils se réfèrent est celle de ceux qui témoignèrent par le sang versé leur vision chrétienne de la société, comme les vendéens en France et les cristeros au Mexique. Rien à voir avec l’amoralisme politique dont CL a fait preuve au cours des années. Il serait vain de chercher un fil conducteur entre les hôtes illustres du Meeting de Rimini, de ses origines à nos jours : personnalités de droite et de gauche, conservateurs et progressistes se sont alternés et s’alternent dans les allées du pouvoir qui, si elles sont privées de continuité intellectuelle et politique, ne manquent pas de cohérence intime dans leur pragmatisme radical. Le long idylle de Communion et Libération avec Giulio Andreotti doit faire réfléchir. Andreotti fut l’incarnation de l’amoralisme politique et entre la philosophie de la pratique de CL et la politique de la praxis d’Andreotti, la rencontre était obligée.
L’homme qui allait à la Messe tous les matins n’hésitait pas à signer, en 1978, la loi abortiste en Italie. La foi dégagée des principes rationnels et des « valeurs non négociables » rend disponibles à toutes les aventures comme lorsque aujourd’hui, Roberto Formigoni (homme politique italien, membre de Communion et Libération, ndt) « ouvre » la garde d’enfants aux couples homosexuels, ce qui n’est pas incohérent avec la « philosophie de la praxis » de laquelle il s’inspire.
Le Pr. Massimo Borghesi considère que, dans les années 1970, ce fut « la pédagogie de l’expérience » de CL et non le traditionalisme à « sauver » l’Eglise. Je considère pour ma part en revanche que Communion et Libération a simplement intercepté la partie saine du monde catholique, demeurée « orpheline » dans les années noires de l’après Concile, sans être en mesure de donner à ces jeunes les instruments théologiques et philosophiques dont ils avaient besoin, à commencer par une droite notion de foi. Nombre d’entre eux, qui ne sont plus jeunes aujourd’hui, étaient et sont d’excellente qualité et c’est surtout à eux que je m’adresse lorsque j’affirme que Communion et Libération n’a pas constitué une digue contre la crise de la foi actuelle mais qu’elle a contribué à affaiblir la foi et à provoquer la présente crise, sans nier naturellement les bonnes intentions de quiconque et avec le plus grand respect pour mes interlocuteurs, à commencer par S.Exc. Mgr Luigi Negri, auquel je renouvelle mon estime et mon amitié. (Roberto de Mattei)