quinta-feira, 17 de julho de 2014

Le Christ et moi sommes en présence l’un de l’autre.

Préparation à la Divine Liturgie : « Je suis Christ »

par l’archimandrite Aimilianos de Simonos Petra





Enseignement au monastère de Simonos Petra
du Mont Athos, le 16 septembre 1976. Nos sous-titres.

Notre rencontre de ce jour aura pour thème principal la Divine Liturgie. Cela ne veut pas dire que nous n’aborderons pas l’ensemble des offices, puisque la Liturgie en constitue une partie ; elle est le noyau, le cœur du culte. C’est la partie la plus accessible de nos offices. Nous y porterons une attention toute particulière car elle est nourriture, communion, action de grâces, fête commémorative, que nous célébrons unis mystiquement avec le Christ, avec la sainte Trinité. Tout le monde peut trouver sa joie dans la Liturgie, y communier et l’assimiler tout entière, non seulement sous la forme du pain et du vin. Cependant, bien qu’elle nous soit familière, la Divine Liturgie nous semble parfois difficile à comprendre. Nous allons donc tenter d’expliquer quelques-uns de ses éléments.


1. Écouter la parole de Dieu

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Que pouvons-nous faire pour vivre réellement la Divine Liturgie ? La condition fondamentale à sa compréhension est le travail préparatoire, qui s’effectue par la lecture préalable de l’Évangile du jour. Maintes fois je suis obligé de me battre pour convaincre les prêtres et les diacres de lire l’Évangile avant la Liturgie. Et si je leur demande s’ils l’ont lu, leur réponse est un " oui ", qui signifie : " Je l’ai regardé ; il se trouve à telle page. " Ce n’est pas du tout ce que j’entends lorsque je dis de se préparer avec la lecture de l’Évangile.

Le prêtre et le diacre ont toute possibilité d’ouvrir la sainte Écriture soit après l’Hexapsalme, soit après le " kairos ", alors qu’ils sont seuls dans le sanctuaire. Plaçant le Christ devant eux, ils seront à même de recevoir ce que celui-ci veut leur dire : " Voici, le Christ m’appelle " (cf. Mc 10, 49 ; Jn 11, 28) ; il veut me parler. Le Christ et moi sommes en présence l’un de l’autre. Ne considérons jamais l’Évangile comme une simple péricope du jour, qu’il nous faut lire pour la forme. Car, en agissant ainsi, avant même que la Liturgie ait lieu, nous signons son échec. Si l’Évangile ne nous parle pas, la Liturgie nous laissera totalement insensible.

Qu’est-ce que l’Évangile ? C’est la sainte Écriture dans sa totalité, c’est la révélation de Dieu. Dieu s’est manifesté à des hommes revêtus de l’Esprit Saint, lesquels, poussés par l’Esprit, écrivirent ce que Dieu leur révélait, et que les Évangélistes ont transmis à travers les siècles. L’événement que décrit l’Évangéliste, devient pour moi un événement personnel : j’ai maintenant, en le lisant, une révélation ; le texte est une parole révélatrice. La révélation n’est pas ce que je lis, c’est ce que le Christ lui-même me dit quand je lis la parole.

L’Écriture, le Psautier, tous les livres saints accentuent le fait que les idoles n’ont pas d’oreilles, ni de bouche, ni d’yeux (cf. Ps 113, 12-14 ; 134, 15-17 ; Sg 15, 15). Le Christ, lui, possède une bouche, des oreilles et des yeux. Par conséquent, il voit, il entend, il répond à mon attente.

Lire l’Évangile équivaut à placer le Christ devant soi, à lui demander quelque chose de nouveau, une parole pour le jour présent, une parole dont le contenu sera pour moi une révélation personnelle, laquelle remplira mon esprit, ma pensée. Comme vous le concevez, notre esprit doit rester vide et sans distraction, pour être sensible au souffle divin et accueillir le Saint-Esprit. En quelque sorte, l’Évangile du jour deviendra mon propre évangile. C’est très facile. Tout dépend de ma préparation et de ma réceptivité.

Par conséquent, quand je dis : " Je vais lire l’Évangile ", cela signifie : Qu’est-ce que j’ai à entendre de Dieu aujourd’hui ? Que va-t-il me dire ? Alors mon cœur se remplit, premièrement, des sentiments qui sont en rapport avec le mystère révélé par la Parole, car l’Évangile rend présent le Dieu qui s’y manifeste. Ou bien j’obtiens que le Christ se révèle maintenant à moi, et me communique, aujourd’hui, un message nouveau, qui deviendra le contenu de mon cœur, de mes sentiments, lequel constituera ma douceur.

Deuxièmement, l’Évangile donne un contenu à mes décisions. Chaque Liturgie est un martyre, une mort, une participation à la vie du Christ. Nous touchons donc les franges du vêtement du Christ. Si une hémorroïsse (Mt. 9, 20-22), un publicain (Lc 5, 27-28) ont pu, en touchant le manteau de notre Seigneur, en recevoir la force, il est impensable que nous, nous ne puissions la recevoir, parce qu’elle signifie pour nous de nouvelles décisions. Ces décisions ne se prennent pas intellectuellement, elles germent dans le cœur, dans les profondeurs de notre conscience. Ce sont elles qui m’amènent à " oser, en toute assurance et sans encourir la condamnation, t’appeler Père ". Sans cette assurance, personne ne peut adorer Dieu. J’acquiers de l’assurance équivaut à dire " Je suis pécheur, je suis un être coupable. "

En prenant une nouvelle décision, immédiatement, je sépare mon mauvais moi de celui que je présente à l’instant devant Dieu, c’est-à-dire mon moi renouvelé par la grâce divine, celui qui prie, qui élève les mains ; j’acquiers assurance et familiarité auprès du Christ. Cette décision est ensuite une puissance régénératrice dans ma vie après la Liturgie.

Troisièmement, l’Évangile clarifie le contenu de mon intelligence (diania), dans laquelle circulent désormais toutes ces connaissances révélatrices acquises au cours de ma lecture – car le Royaume des Cieux est avant tout une connaissance. L’Évangile purifie tout ce qui s’est introduit dans mon intelligence pensées : réflexions profondes, offensives et agressions contre mon mauvais moi, mais aussi les joies et les délices que j’éprouverai devant ces révélations. L’Évangile est la parole de ma révélation personnelle ; c’est mon contact aujourd’hui avec le Christ.

La lecture préalable de l’Évangile n’est pas réservée exclusivement aux prêtres. Tous les laïcs peuvent facilement connaître les références de l’Évangile du jour, et posséder une Bible. Ils peuvent se préparer à sa méditation en lisant l’office avant le déroulement de la Liturgie ; c’est une aide efficace. Si nous insistons tant sur l’Évangile, c’est parce que nous parlons tout spécialement de la Divine Liturgie.

Pour ma part, quand je célèbre, j’ai besoin auparavant d’un temps suffisant pour converser avec " mon Évangile ". Puisque je crois fermement que mon Christ est ici – je le crois ; ce n’est pas une réalité intellectuelle, c’est la sensation de tout mon être, de mon âme, de mon corps et de mon esprit –, pourquoi ne pas parler avec lui ? Le contraire serait l’isolation totale de mon moi d’avec Dieu.

Je vis donc Dieu, caché et révélé dans l’Évangile, je jouis réellement de sa présence, je le prends dans ma main. Je le laisse me parler. Je peux vous certifier que jamais Dieu ne m’a laissé pendant la Liturgie, ne serait-ce qu’une fois, sans me révéler un contenu nouveau du texte.

Mon dialogue avec l’Évangile aura lieu dans l’église, quand je célèbre, ou lorsque je suis seul dans ma chapelle. C’est tellement facile ! On rencontre le Christ, après on le conduit devant l’autel, puis à gauche pour la proscomidie, ensuite à droite. Il est avec nous quand nous sortons du sanctuaire pour la petite et pour la grande entrée, il nous y accompagne de nouveau lorsque nous y pénétrons ; il nous suit partout ! Si nous ne pouvons vivre aussi facilement la présence du Christ, il nous faut alors examiner notre état spirituel.

2. Se concentrer pendant la préparation
à la Divine Liturgie.


Autre point fondamental, auquel je voudrais que nous prêtions attention : celui de notre concentration au cours de notre préparation à l’office. Je ne parle pas d’une autocritique : " Qui suis-je ? Qu’ai-je fait ? ", car une telle concentration se réduit finalement à une action humaine. Je pense davantage au blâme de soi, comme une plongée dans notre moi pour nous vider de nous-mêmes, comme une offrande de notre être. Il faut que nous disparaissions devant Dieu, pour que Dieu devienne tout.

Quand nous allons à la Liturgie, nous entrons dans le Royaume des Cieux. Cela veut dire que nous entrons en communion directe avec Dieu ; nous participons à Dieu. Mais Dieu est incompréhensible. S’il a quelque chose de compréhensible, c’est son incompréhensibilité. Cette incompréhensibilité, cet " au-delà de tout ", nous pouvons merveilleusement les rendre par le mot " sainteté ". La sainteté de Dieu a aussi un sens moral. Mais elle est avant tout la transcendance absolue de Dieu, c’est l’absolu de la Divinité. " Saint " signifie totalement séparé, absolument seul, radicalement consacré. Dieu est exclusivement consacré à lui-même. Dieu est le seul qui " ne participe à rien et ne soit participé par aucun être dans son essence ". Bien sûr il en est tout autrement de " l’extension " et de " la projection " de Dieu dans son économie de salut.

Lorsque nous communions à la sainteté de Dieu, c’est comme si nous participions à sa vie, nous approchons, nous touchons le mystère du Dieu au-delà de tout, du Dieu transcendant. Nous vivons désormais comme il vit lui et, alors, nous lui donnons la possibilité de nous combler de ses rayons et de nous faire participer, par économie, à sa sainteté. Quoi qu’il en soit, nous entrons dans un lieu qui nous est totalement étranger. Si l’Incarnation du Verbe est un " mystère étrange ", pensez combien plus étrange, plus mystérieux et inaccessible est le mystère de l’Être divin, celui de la sainteté de Dieu.

La sainteté de Dieu est donc un lieu dont nous devons nous approcher. La sainteté de Dieu est absolue, tellement visible, si glorieuse, qu’elle remplit l’univers. Elle se transmet sur-le-champ telle une lumière, tel un resplendissement de la Divinité au triple éclat. Ainsi nous pénétrons, nous aussi, obligatoirement dans cette gloire de la Divinité et, puisque nous vivons la présence du Christ, nous entrons dans sa gloire.

La gloire du Christ n’est pas celle que nous obtenons par une préoccupation éthique, avec une notion de grandeur ou de magnificence, c’est désormais une participation à la vie de Dieu, qu’il nous transmet par son énergie incréée. C’est pourquoi notre participation à la gloire de Dieu est un acte que lui-même accomplit. Nous, nous ne pouvons rien faire, sinon nous tenir avec une connaissance majestueuse devant sa sainteté et recevoir sa gloire. Ainsi nous participons au noyau de sa vie et nous entrons dans l’amour de la Trinité.

Qui suis-je, moi qui entre dans la gloire et la sainteté de Dieu ? Puisque lui est saint, puisqu’il est l’Absolu, cela signifie que moi, je ne suis rien. En dehors de lui, je ne suis que ténèbres, je suis le " non existant ". Si aujourd’hui j’ai un certain rayonnement, c’est uniquement par grâce divine, car personnellement je n’en suis pas digne. Je m’éteindrai dès qu’il cessera de jeter sur moi sa lumière. Puisque Dieu demeure " Celui qui est ", moi aussi je dois me tenir devant lui comme je suis, et mon essence est le non-être, c’est mon absence d’existence propre.

Pendant la Liturgie, je dois donc découvrir mon moi réel, savoir qui je suis et en face de qui je me tiens ; je dois découvrir qui est ce Dieu que je cherche à rencontrer. Il faut donc que je découvre mon néant, ma nullité.

Vous comprenez maintenant que cela n’est pas l’effet d’une autocritique, qui consisterait à se dire : "J’ai fait ceci, j’ai fait cela, mon Dieu, pardonne-moi ", laquelle peut finalement signifier : " je suis un saint ". La reconnaissance de mon néant advient seulement après la connaissance de Dieu, c’est-à-dire de sa sainteté, de sa grandeur inaccessible. Elle se fait aussi par mon entrée dans la gloire de la Divinité. Lorsque je pénètre dans ces ténèbres de l’ignorance, dans l’obscurité de la connaissance comme inconnaissance de Dieu – connaissance de Dieu ténébreuse pour moi qui me trouve dans la pénombre, mais en réalité glorieuse et grandiose –, je peux avoir une faible idée de ma nullité. Plus je me dépossède de moi-même pendant ma préparation à la Liturgie, plus la sensation de mon néant grandit.

Il faut donc que je me vide de tout ce que je crois être, même de ce que Dieu m’a donné : " Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu ? " (1 Co 4, 7). Ce que Dieu m’a donné je l’abandonne à cet instant pour rester écartelé, nu tel que ma mère m’a mis au monde, pour pouvoir me tenir devant ce Dieu redoutable, qui doit se pencher sur moi, me recouvrir et donner une forme à l’embryon que je suis, le modeler à son image. Alors je découvrirai mon être réel et, en même temps, je trouverai assurance devant Dieu.

Pendant la Liturgie, nous prononçons les paroles suivantes : " Accorde-nous de t’offrir les dons et des sacrifices spirituels ". Les dons et les sacrifices se rapportent au Christ que nous offrons. Mais, si vous le voulez, offrons-nous d’abord nous-mêmes comme don à Dieu. Offrons aussi des sacrifices ; toutefois le seul sacrifice, le seul holocauste, le parfait sacrifice qui plaise à Dieu, c’est de nous offrir nous-mêmes. Ce que nous donnons ne nous appartient plus, ce " moi " que nous estimons tant a désormais disparu, et il ne reste que ce " rien ".

Pour vivre la Divine Liturgie, le blâme de soi, vécu comme une expérience existentielle, est la condition préalable, mais non comme un cri de colère envers nous-mêmes, duquel rien d’essentiel ne sortirait. Comme le dit Nicolas Cabasilas : " Nous sommes portés à lui confier nos âmes ". Abandonnons nos âmes à Dieu pour qu’il en fasse ce qu’il veut. Même l’âme que Dieu nous a donnée, nous la lui rendons ! Nous renonçons à tout ce qui a de l’importance pour nous, à tout ce que nous avons vécu, à ce que nous vivrons ; nous remettons toutes choses à Dieu. Nous pourrons alors lui parler en toute assurance et intimité et " prendre contact avec le brasier des saints mystères ". Nous acquérons désormais une pleine intimité avec Dieu, qui se produit par l’enlacement de Dieu, lorsque nous avons rejeté notre moi. Dieu nous prend avec lui, Dieu nous comble. Par conséquent, nous avons la certitude que nous ne célébrons pas en vain la Liturgie ; notre Liturgie sera une Liturgie parfaite et porteuse de fruits.

3. La prière pour autrui

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Un troisième élément peut nous aider à nous préparer pour la Liturgie, ou pendant celle-ci, c’est la prière. Cependant notre prière ne doit pas être associée aux divers problèmes qui se bousculent dans notre cœur, dans notre esprit, ni avec l’objet de nos désirs que nous voulons, à l’instant, présenter à Dieu afin d’obtenir une réponse. Notre prière ne doit pas être l’étalage de ce que nous avons déjà abandonné à Dieu pour le reprendre ensuite. Le plus souvent notre prière est l’expression de notre égoïsme. Elle est rarement spirituelle. Elle est, la plupart du temps, corporelle, malade, car elle est à notre mesure. C’est une prière pleine de présomption, une recherche de notre moi.

Que notre prière ne soit pas ainsi ! Qu’elle soit faite avec plus d’attention. Je pourrai prier pour moi, lorsque j’aurai découvert ce que je suis : un embryon gisant dans les entrailles du péché, vivant dans les entrailles du monde et non dans le Royaume des Cieux. Je dois prier pour mon moi réel, afin que Dieu l’assume, le ressuscite au cours de la résurrection (c’est-à-dire la consécration des oblats), qui aura lieu pendant la Liturgie, pour m’élever ensuite avec lui vers les cieux, pour que je puisse accueillir l’Esprit Saint et vivre dorénavant avec lui.

Je peux prier pour moi, quand je vais à l’office uni à tous les fidèles, aux vivants et aux morts, à la Divinité en sa plénitude, à l’Église entière. Je prierai également pour l’Église, pour les autres personnes qui sont aussi moi-même, puisque je forme avec elles un corps unique, le Corps spirituel du Christ : " Nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ " (Rm 12, 4-5 ; 1 Co 12, 12).

Je prierai pour ce peuple, mais sans entrer dans les détails. Je peux prier tout spécialement pour la communauté à laquelle j’appartiens, dont je suis un membre inséparable, et qui m’a donné le droit de participer à cette assemblée cultuelle. Je peux prier pour telle ou telle personne. Je peux aussi mentionner les problèmes de telle autre, sachant que ses problèmes ne me regardent pas, car ils concernent strictement sa vie personnelle et non celle du Corps du Christ ; je ne dois pas entrer dans les problèmes d’autrui, mais les laisser à Dieu, sinon je chasserai Dieu.

Une telle prière sera pour moi une nouvelle kénose et en même temps une attente du Christ, une disposition à communier à son amour, à sa sainteté et à sa gloire.

Une question se pose : Puisque l’office est commun et ne concerne pas chacun séparément, comment pouvons-nous prier en particulier pour quelqu’un ? Notre office est si long qu’il nous laisse toutes possibilités de le faire. Pendant qu’on lit les cathismes du Psautier ou lorsque l’on chante le Canon, les prêtres lisent les prières préparant à la communion, ou bien ils se vêtent en disant : " Mon âme se réjouira dans le Seigneur, car il m’a couvert d’un vêtement de salut ". Il n’y a donc pas de problèmes. L’Église elle-même nous concède ce droit. Une chose est l’assemblée qui prie avec les paroles de l’office, autre chose, moi qui, en tant que prêtre, me présente devant Dieu.

N’oublions pas que pendant la Liturgie, nous intercédons pour de nombreuses personnes. Il est bon que chaque prêtre et chaque diacre ait ses diptyques, dans lesquels seront inscrits le plus grand nombre possible de noms. Et vous devez trouver un moyen de les lire tous. Les lirez-vous dans votre cellule ou pendant que vous vous préparez ? Les lirez-vous pendant l’office ? C’est votre droit. Dans la tradition russe, tout prêtre s’apprêtant à entrer dans l’église, revêt son étole, prend un petit plateau et une prosphore et il fait mémoire des noms inscrits dans ses diptyques. Ensuite, ces plateaux sont rassemblés et les noms sont versés ensemble sur un autre plateau. C’est une très belle tradition. Je ne dis pas qu’il nous faille agir de même, cependant le prêtre peut et doit commémorer de nombreuses personnes, parce que le peuple l’attend de nous, parce qu’il le veut. Et le vouloir des hommes est une obligation pour nous. Plus les prêtres sont des hommes simples, plus ils commémorent de personnes. Les plus instruits n’ont pas cette habitude.

4. Vider l’esprit

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Nous arrivons au quatrième élément de notre préparation. Nous l’avons déjà effleuré et je ne voudrais pas le développer à présent, car c’est un sujet des plus difficiles de la vie spirituelle : nous devons essayer d’habituer notre intellect (noûs) à rester vide et sans concepts. L’homme a d’étonnantes ressources en lui ; son cerveau à la possibilité de faire de nombreuses choses à la fois. Vous pouvez, par exemple, penser à votre higoumène qui ne vous a pas répondu, vous souvenir de votre mère qui est malade, et en même temps suivre l’office. Mais quand notre intellect s’éparpille ou se remplit de toutes sortes de pensées, il ne peut contenir autre chose.

L’intellect est absolu, il est passionné. Quand il s’attache à quelque chose, il ne peut s’en séparer. L’intellect veut quelque chose d’entier. Mais Dieu veut aussi notre intellect tout entier ; il ne supporte pas qu’il soit partagé. L’union avec Dieu est de l’ordre de l’intellect et, dès lors que la Divine Liturgie est une action de grâces commémorative, il est naturel que l’union s’accomplisse dans notre intellect. Notre intellect doit donc être entièrement libre pour être envahi par le Christ au cours de l’Eucharistie. Et cet envahissement sera d’autant plus grand que nous nous efforcerons de vider notre intellect de toute idée et de toute conception. Alors, vivant la plénitude de la présence du Christ, nous sommes remplis de joie.

Nous nous plaignons, en général, de ne pouvoir prier ou de ne rien comprendre de ce qui se passe pendant la Liturgie, ou bien que nous ne recevons rien d’elle. Comment peut-on prier ? Que peut-on comprendre ? Que recevoir quand notre intellect est surpeuplé ? De même que vous laissez votre filet vide s’enfoncer dans la mer pour attraper du poisson, laissez votre intellect, vide, attraper le Christ.

Vous devez aussi contrôler vos paroles, vos pensées, votre intelligence (diania), de façon à les canaliser ; elles n’ont pas le droit d’aller là où bon leur semble ; elles n’ont pas le droit de souiller l’intellect, ni de remplir l’âme.

Par conséquent, l’intelligence doit être vide, " notamment dans une prière intense " ; elle ne doit pas s’éparpiller. Nous ne parlons pas de la prière intérieure, mais de l’office. Notre intelligence (diania) doit avoir son propre contenu, elle doit être indépendante de l’intellect (noûs). Toutefois elle ne doit pas comprimer celui-ci. Tout comme l’araignée lance un fil que le vent accroche où il veut pour qu’elle puisse tisser sa toile, ainsi notre intelligence doit rester souple, mais contrôlée, afin que n’y entre aucun problème, aucune anxiété, aucune contrariété. Car si je me réjouis, ce sera parce que j’ai résolu mon problème. Si je suis triste, je le serai parce qu’une peine m’oppresse. Si je suis gai, je le serai parce qu’on m’a écouté, parce qu’on a fait attention à moi, parce qu’on m’aime, mais non à cause de la présence de Dieu.

Notre volonté doit être orientée vers le Dieu présent et se révélant à travers l’Évangile, pour être remplie par ce qui devient pour chacun de nous, aujourd’hui, un évangile personnel, qui sera le contenu de notre cœur, comme je vous l’ai dit au début de notre entretien. Il formera le contenu de nos décisions, de nos paroles, de notre intelligence. Nous possédons notre propre parole révélatrice. Notre intelligence rationnelle – et non notre intellect –, comme le fil de l’araignée, va s’accrocher à notre nullité, à notre péché, à notre inattention, à la gloire de Dieu, à sa sainteté, aux saints de l’Église, et ainsi Dieu est maintes fois pris au filet. L’indépendance de l’intelligence n’empêche pas l’intellect de s’unir à Dieu.

Cette mobilité de l’intelligence est tout à fait naturelle dans la vie humaine. Elle se produit chaque jour en nous, dans ses manifestations diverses, et nous ne le faisons pas dans notre vie spirituelle, d’où la tragédie de notre vie. Néanmoins, le contrôle de l’intellect et de l’intelligence est nécessaire au débutant. Si vous allez pour la première fois dans un monastère, par exemple, il faut qu’on vous conduise jusqu’à votre chambre, ensuite vous vous y dirigez tout seul, même en discutant. Il en est ainsi pour l’intellect et l’intelligence : ils apprennent à cheminer tout seuls. L’intellect et l’intelligence doivent se vider, ou bien l’intelligence doit se diriger librement là où se trouve l’intellect.

5. « Je suis Christ. »



Nous arrivons ainsi au cinquième et dernier élément .de notre préparation. Il s’agit d’une perception, d’une compréhension, d’une connaissance, d’une certitude jusque dans la moindre parcelle de mon âme et de ma conscience, que je suis Christ, ainsi que le disent de nombreux textes patristiques. Je suis Christ, parce que je suis entré en communion avec le Christ, je suis incorporé à lui, comme ce qui entre dans le feu devient feu. Je suis Christ, parce que je suis son temple (cf. 1 Co 3, 16 ; 2 Co 6, 16), parce que j’appartiens à l’assemblée ecclésiale. Je suis Christ, parce que je suis prêtre donc figure du Christ et non son représentant. Je suis Christ, parce que je suis baptisé, parce que je suis disciple, et disciple signifie Christ ; chrétien signifie " chrismé ", qui a été oint par Celui qui est l’onction. Nos lectures, nos conversations, nos réunions, nos veilles, nos métanies et le souffle du Saint Esprit dans nos cœurs peuvent nous aider à devenir Christs. Il est tellement facile de comprendre que je suis Christ !

J’ai donc devant moi le Christ révélé et, à cause de cela, il se manifeste personnellement à moi, qui suis une nullité, qui ne suis rien. Et malgré tout, ce " rien " est devenu Christ. Savez-vous de quelle magnificence se remplira votre âme, si vous le comprenez ? Savez-vous que votre attitude, votre regard, votre cœur changeront immédiatement ? Que votre attention aux offices et plus encore à la Liturgie, sera plénitude si vous comprenez le " je suis Christ " ?

Le Christ est tout entier dans le pain, mais il est aussi tout entier dans le pain de chaque église. Je suis Christ ne signifie donc pas que mon voisin n’est pas Christ. Chacun de nous peut dire : " Je suis Christ ". Si je vis le " je suis Christ ", je suis immédiatement rempli d’une allégresse sans fin, de la joie du Saint Esprit qui est la plénitude de la joie du Christ, la conséquence de sa présence. Là où est le Christ, là sont la joie et l’allégresse.

Le sentiment d’être Christ m’amène à toucher le Christ. Une chose est la perception d’être Christ, une autre est le sentiment de la révélation du Christ en moi, laquelle est un accroissement de la vision de Dieu, de sa compréhension. Le Christ et moi luttons, dansons, jouons, nous enlaçons. Au cours de la Divine Liturgie, le Christ révèle son Père à " celui à qui le Fils veut bien le révéler " (Lc 10, 22), et en eux l’Esprit Saint se manifeste.

6. Présence à la Liturgie avant la Liturgie

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Hier soir, un des Pères est venu dans ma cellule et nous nous sommes entendus pour célébrer la Liturgie pendant la nuit. Je peux vous certifier qu’à partir de cet instant, je suis entré dans l’atmosphère de la Divine Liturgie, de laquelle je ne suis absolument pas sorti, que je sois éveillé ou pendant mon sommeil. Après ce moine, j’ai reçu deux autres moines. J’ai félicité l’un et j’ai blâmé le second, sans que mon intellect n’ait cessé d’être présent à la Liturgie que j’allais célébrer. À aucun moment mon intelligence n’a délaissé la Liturgie – puisque je sentais que j’y étais déjà entré – et ma conscience n’a cessé de sentir la responsabilité de sa présence devant Dieu.

Jusqu’à deux heures trente environ, j’ai écrit. Vers quatre heures trente, je me suis allongé et j’ai réussi à m’endormir. À six heures trente, quelqu’un a frappé à ma porte pour me réveiller. Certes, il m’a réveillé, mais je continuais, dans mon sommeil, à vivre cette expérience. Je lui ai répondu, mais lui, à ce qu’il paraît, douta que j’aie compris, et il attendait de voir si j’allais ou non me rendre à l’église. Cependant, j’y étais déjà car l’atmosphère de la Liturgie dans laquelle j’étais entré depuis la veille ne s’était nullement dissipée. C’est pourquoi, sans comprendre comment, je suis allé à l’église et je me suis préparé à célébrer. J’ai eu besoin d’une heure environ pour effectuer cette préparation avant de commencer la Divine Liturgie. Après la consécration des saints Dons, le cataclysme de la joie, de l’allégresse – qui n’est pas toujours le même, car il dépend de nous et de l’économie dont Dieu fait preuve à notre égard –, était tel qu’alors seulement j’ai compris que je célébrais, qu’à cet instant j’étais devenu Christ.

Ceci peut être – et doit être – un fait quotidien. Ainsi notre journée sera la continuité de la Liturgie et une préparation pour la Liturgie suivante. Saisissez-vous quel privilège unique est le nôtre, pour nous qui célébrons les Divins Mystères chaque jour ? Seulement, il faut que nous vivions ce que dit Nicolas Cabasilas : " Dieu nous donne en dot toutes les choses saintes ". Qu’est-ce qu’une dot ? Un don gratuit ! Ce sont " des grâces qui viennent d’elles-mêmes ". Ceux qui se crispent dans la prière, ceux qui s’exténuent dans le combat ascétique pour voir Dieu ou pour acquérir la grâce de la concentration, par exemple, n’obtiendront jamais rien. Tout ce que vous gagnez, tout ce qui vous comble, provient des projections de la sainteté de Dieu, de sa gloire, des énergies divines incréées.

Chaque semaine vous préparez le pain que les ascètes viendront solliciter ; s’ils ne viennent pas, ils n’auront rien. Ainsi Dieu, chaque jour et pour chacun de nous, prépare ses Grâces. Et il nous suffit d’élever les yeux de notre cœur, de notre intellect, de notre esprit pour les recevoir. Mais si nous ne le faisons pas... Pourquoi nous priverions-nous de cette grâce quotidienne ?

Une préparation à la Divine Liturgie telle que nous venons de la décrire, nous rend réellement, et sans artifice, participants de Dieu.

Extrait de : Archimandrite Aimilianos,
Catéchèse et discours 4 : Le Culte divin,
Attente et vision de Dieu
, Éditions Ormylia,
Chalcidique, Grèce, 2004.